4 balles pour Joe

Par Tepepa
Cuatro balazos
1964
Agustín Navarro


C'était en 2004 ou 2005. Depuis quelques années déjà, c'était l'effervescence dans le petit monde des aficionados du western spaghetti car le grand boom du DVD était là. De nombreux films sortaient, tous genres confondus, et les westerns spaghetti allaient enfin pouvoir être vus par une génération lassée d'attendre les diffusions télé, trop jeune sans doute pour avoir profité à plein de la manne de la VHS. Les sorties s'échelonnaient , sans réelle hiérarchie, et on trouvait de tout, du connu et de l'inconnu.

4 balles pour Joe (qu'incidemment il faut prononcer Joey comme dans Joey Starr et non pas Joe comme dans Joe Dalton) faisait partie de cette fournée de films mineurs aux titres pourtant aguicheurs: 4 balles pour Joe, Django le Proscrit, Cinq rafales pour Ringo. On les trouvait en kiosque, et bien vite à deux ou trois euros dans les brocantes et sur cdiscount.
Comme tout le monde dans la blogosphère - vous noterez comme ce mot est devenu has been - je m'étais acheté ces films à pas cher, je les avais mis dans le lecteur, j'en avais regardé cinq minutes, et les avais remis, bien vite dépité, dans leur boîte. Certains sur les forums (pour les plus jeunes, un forum est un espace d'échange pré-facebook/twitter) regardaient jusqu'au bout, poussaient les autres à en faire de même, mettaient en avant le peu de moyen de l'entreprise, louaient le sérieux et l'intégrité de l'affaire et mettaient un nom sous tous les seconds rôles du film. 
C'est que pour la plupart, ces films étaient des "proto-spagh", c'est à dire des westerns européens certes, mais qui intervenaient avant la révolution Leone, des films d'un classicisme absolu qui copiaient la manière américaine avec application.
Dans 4 balles pour Joe, la première image m'avait marqué. Un cowboy assis sur un muret, à coté d'une route qui paraît trop moderne, accompagné d'un mouvement de caméra trop amateur. Je crois que je m'était arrêté là, horrifié par le flagrant manque de moyen de cette amorce. Dix ans plus tard, je me dois de réparer cette injustice, parler de ce film qui a tout de même du financement français dans les veines, un scénario solide, une réalisation qui tient la route. Premier point, le cowboy raté de la première image aura son importance plus tard, tout se tient, tout fait sens. Deuxième point, le titre n'est absolument pas mensonger. Joe se prend quatre balles, pas une de moins pas une de plus. Il se les prend dès le début en pleine nature, et petit raffinement du réalisateur Augustin Navarro, la caméra s'attarde sur son cheval qui continue à avancer avec le cadavre de son maître sur le dos, avant finalement de le voir choir par terre. Ce n'est certes pas original, mais ça marche. Suite à ce meurtre, Cathy Dalton (Liz Poitel) est accusée et condamnée à faire de la prison. La belle ne supporte pas l'idée et s'enfuit en courant avant de se faire écraser par une charette. On remarque que la charette ne s'arrête pas, à nul instant on ne voit le conducteur de la charette s'approcher pour voir comment va la malheureuse. La charette a en effet rempli son office d'instrument des divines voies impénétrables, elle peut disparaître. C'est un cinéma de l'économie, qui va droit au but et ne se déroute pas pour capturer des moments d'humanité. Cathy Dalton morte dans les bras du Shérif (Fernando Casannova), tout le monde redoute alors l'arrivée de Frank Dalton (Paul Piaget), car c'est bien la soeur du redoutable bandit qui vient de traverser sans regarder à gauche et à droite. Mine de rien, Augustin Navarro parvient à créer une belle tension dramatique lorsque la ville retient son souffle en attendant l'arrivée de Frank Dalton. Par contre, en 1964, il n'y a pas encore eu Pour Une poignée de dollars, il n'y a pas encore eu Django, il n'y a pas encore eu Le Temps de Massacre, ce qui fait que quand Frank Dalton arrive, il ne massacre pas les villageois, il ne fouette personne, il arrive seul et préfère mener sa petite enquête. Propre comme un sou neuf, il semble faire le concours de la chemise la mieux repassée avec le Shérif. Pour la crasse, la sueur, la barbe de trois jours, il faudra attendre encore quelques mois.


Le cowboy du tout début qui en sait plus que les autres sur qui a tué Joe meurt aussi à son tour. A ce stade, si vous n'avez pas été attentif au scénario dès le début, c'est mort pour vous, et vous ratez le seul intérêt du film, c'est à dire une enquête policière bien ficelée qui demande un minimum d'attention de la part du spectateur. Au moins ne serez vous pas dérangés par une psychologie de comptoir. Le héros est droit dans ses bottes, héritier direct de Tom Mix. Un court instant, on veut nous faire croire qu'il pète un câble, qu'il se laisse dominer par son pouvoir, mais on sait bien que ce n'est qu'un piège. L'identité du coupable n'a finalement pas grande importance, on observe avec bienveillance le réalisateur faire de son mieux avec peu de moyens, on remarque les plans de la piste (de la route goudronnée avec de la poussière dessus en fait) qui sont réutilisés plusieurs fois pour faire croire à une longue chevauchée. On sourit lorsqu'une montre musicale prend soudain une importance majeure dans le film (Sergio, avais-tu vu ce film?), on s'amuse des personnages qui poussent des tonneaux en arrière plan pour simuler l'activité d'une ville américaine de la deuxième moitié du XIXe siècle. Tout cela concours à recréer sous nos yeux cet Ouest de carton pâte, totalement déconnecté de la réalité, mais qui existe pourtant dans un coin de nos mémoires, cet Ouest fantasmé à travers des séries B et des séries TV de troisième zone, cet Ouest imaginaire où la géographie et l'histoire n'ont pas de prise et qui nous servait de terrain de jeu. Y retourner de temps en temps ne sert pas à grand chose, mais autorise au moins une certaine indulgence pour ce type de film.