C’est une histoire d’actrice(s), alors évidemment je ne pouvais pas passer à côté de ce dernier film d’Olivier Assayas, bien qu’on ne puisse pas dire que j’aie auparavant été particulièrement emballée par un de ses films précédents.
Il s’agit donc de Maria, comédienne désormais célèbre, qui est appelée pour rendre hommage au dramaturge qui lui a offert son premier rôle important, il a vingt ans de cela. Mais juste avant l’hommage, ce dernier est trouvé mort. Peu après, un metteur en scène propose à Maria de jouer dans une nouvelle mise en scène de la pièce, mais cette fois dans le rôle de la femme la plus âgée, ce qui la perturbe fortement. Elle est accompagnée partout par son assistante, Valentine, et se prépare à rencontrer Jo-Ann, petite starlette qui jouera le rôle que Maria avait interprété dans sa jeunesse.
Juliette Binoche excelle dans ce personnage de comédienne un peu névrosée, un peu dépassée par son époque, un peu figée dans des modèles de pensée et de jeu d’un autre temps, mais faisant preuve d’une grande intégrité et d’un engagement profond envers son métier. Très bien dirigée, elle offre ici un jeu assez naturel mais aussi assez fort, avec quelques moments d’exagération (dans le rire par exemple) qui collent finalement bien au personnage. Il n’y a pas grand-chose à lire de plus dans ce rôle que l’on voudrait être un miroir de la carrière de Binoche. Car, même s’il est clair que le rôle est écrit pour elle, Assayas ne s’englue pas dans le piège du double sens trop appuyé.
L’insupportable Chloé Moretz est parfaitement castée dans le rôle de Jo-Ann, la starlette dont les frasques sont mille fois plus médiatisées que ne l’est son travail. Là encore on ne tombe pas dans le piège du personnage qui s’avère être « bien plus intéressant que ce que l’on imagine » : si Jo-Ann n’est pas aussi cruche que ne le laissent penser les tabloïds, elle n’est pas non plus la comédienne infiniment profonde que Maria, peut-être, était plus jeune… (Mais, l’était-elle vraiment, d’ailleurs ?)
Mon plus grand plaisir dans ce film a été de voir Kristen Stewart aussi brillante et à l’aise avec un personnage relativement difficile. C’est une actrice que j’aime plutôt bien mais – outre que je n’ai jamais pu aller au bout du premier Twilight – je ne l’ai jamais vue dans grand-chose d’intéressant depuis son rôle, enfant, dans Panic Room, où elle jouait la fille de Jodie Foster avec un certain brio. Ici j’ai l’impression qu’elle trouve enfin de quoi s’amuser avec cette Valentine, sorte d’ombre de Maria, la suivant partout, anticipant ses désirs, la soutenant dans les moments difficiles, allant même jusqu’à lui donner la réplique pour lui faire répéter son texte. Avec ses gilets à capuche et ses grandes lunettes de vue, cheveux lâchés et téléphone et tablette à la main, elle incarne la modernité, la simplicité et la tranquillité que Maria n’a pas.
Et puis il y a cette conversation fabuleuse entre les deux, au sujet de la vacuité des blockbusters. Valentine défend ces films, ainsi que la carrière de la jeune Jo-Ann, réfutant la théorie de Maria selon laquelle ces produits commerciaux n’offrent rien de valable, en particulier en ce qui concerne le jeu d’acteur. Valentine défend son point de vue avec ténacité (la critique s’est empressée de lire ici un sous-texte sur la propre carrière de Kristen Stewart, qui est bien sûr évident) mais le plus intéressant ici est de voir à quel point Assayas semble d’aplomb avec les avis des deux personnages à la fois : le film dont elles parlent est objectivement un peu ridicule, mais est-il entièrement bon à jeter pour autant ? La défense de Valentine tient la route et c’est un propos tout à fait étonnant à entendre dans un film français.
Pour tout ceux qui ont vu la bande-annonce avant de voir le film, une légère surprise naît du fait que la plupart des répliques présentées comme des échanges entre Maria et Valentine sont en fait des morceaux du texte qu’elles sont en train de répéter. Le trouble est bien sûr volontaire mais là encore il semblerait que le simple double-sens ne soit pas forcément l’interprétation la plus passionnante. Valentine regarde d’ailleurs à peine le livre lorsqu’elle répète avec Maria. Elle donne son texte avec cent fois plus de naturel et de conviction que ne le fait Maria. Elle semble en fait, alors qu’elle n’est qu’assistante, l’image parfaite de la comédienne telle qu’on peut l’imaginer.
Quelle est la part de réel dans ces scènes ? Quelle est la frontière entre le fantasme (celui du film au sujet d’actrices qui jouent des actrices…), l’imagination, le jeu, l’écriture, la « réalité » ? C’est difficile à dire.
La mise en scène d’Assayas est très élégante, ainsi que la photographie du film, qui très soignée autant lorsqu’il s’agit de filmer les paysages des Alpes que les diverses scènes en intérieur. Les échos entre la pièce dont il est question, qui se termine par un suicide, la mort de son auteur, les angoisses de Maria, l’inquiétude qui provient de ce fameux « serpent » de nuage qui se déverse soudain, sublimement, dans la vallée, ou encore la disparition subite de Valentine, produisent un effet étrange sur le spectateur. On peut vite s’arrêter à ce mélange et se dire que cette complexité inutile et un tantinet incompréhensible est une pose d’artiste un peu pénible. Pourtant, si on se laisse aller et si on accepte de ne pas forcément obtenir de réponses sans équivoque, la torpeur générale et l’extraordinaire alchimie entre les deux actrices principales peut vraiment séduire. C’est en tout cas le film le plus réussi que j’ai vu de la part de ce réalisateur. Je reconnais que l’interprétation, libre et fascinante, de Kristen Stewart, m’a surtout complètement envoûtée.
Note : 5/6