Aborder l’affectivité et la sexualité au sein des institutions spécialisées dans le grand handicap est, en effet, rarement chose aisée. La parole professionnelle, pourtant si libre dans d’autres domaines touchant au corps, peut parfois subir une telle inhibition qu’il en devient impossible d’envisager le dialogue. Cette résistance institutionnelle peut étouffer la potentialité d’une pensée sur ces accompagnements particuliers, et verrouiller du même coup l’espace d’expression, pourtant nécessaire à l’élaboration partagée.
Dans cette optique, une réflexion sur cette singulière situation nous a semblé intéressante à mener.
Nous reportons ci-dessous l’introduction du périodique, en espérant qu’elle suscite l’envie de lire l’intégralité de l’écrit.
La sexualité et le handicap, thèmes centraux de cet écrit, seront ensuite abordés selon plusieurs angles de vue s’enrichissant mutuellement. La question de l’ambivalence présente dans la pensée sociale du handicap convoquera celle des aspects législatifs actuels concernant la sexualité en institution, dans ses dimensions contemporaines, mais également potentielles (assistance sexuelle). Ces aspects, essentiels, nous permettront l’abord de la très délicate thématique de l’abus sexuel. Si ce dernier est une triste réalité à prendre en compte, il n’en reste pas moins que la focalisation actuelle des établissements sur la gestion des risques liés à la sexualité n’est pas sans péril elle-même. Outre l’occasion qu’elle offre de camoufler une certaine résistance à la réflexion sur la sexualité des personnes en situation de handicap, elle risque de faire oublier que la sexualité est avant tout une possibilité d’accomplissement de l’être humain. Sa pensée suppose donc le glissement d’une position de prévention à celle, complémentaire, de promotion d’une certaine qualité de vie sexuelle. A ce niveau, les logiques éducatives et la reconnaissance de la sexualité comme comportement affectif et relationnel semblent fondamentales.
Ces premiers développements nous amèneront à nous interroger sur les rapports complexes existant entre l’intime et le collectif, c’est-à-dire entre la dimension personnelle de la sexualité et ses modalités d’existence et de reconnaissance au sein de la collectivité. A ce niveau, l’évocation des grandes faiblesses institutionnelles dans la pensée de la sexualité des personnes en situation de handicap (tant formelles qu’informelles) nous permettra d’établir le fait qu’il arrive, parfois, que l’absence d’interdiction des rapports sexuels n’implique pas leur possibilité de fait. En raison d’un contexte empreint de silence et de résistance par déni, cette possibilité peut être entravée par un climat institutionnel ne permettant pas sa survenue. L’investissement des structures sera donc présenté comme un indispensable moteur de lutte contre le tabou social et le silence législatif sur ces questions. Nous évoquerons à ce propos la nécessité de construire une posture de compromis, créant une possibilité d’expression sexuelle ne tombant ni dans l’idéalisation naïve (liberté totale sans gestion des risques), ni dans l’obscène (sexualité réprimée sous prétexte de bestialité, sans considération pour l’humanité des personnes la manifestant). Cette posture sera analysée comme nécessitant une collaboration entre les personnes accueillies elles-mêmes, leurs parents, les professionnels et l’institution en tant que système socio-idéologique.
Ce compromis, sorte « d’entre-deux de la sexualité », sera présenté comme construction complexe équilibrant la nécessité de la règle avec le respect absolu des besoins humains. Cela sera l’occasion de préciser ce qui est entendu par « besoin de sexualité », et donc de mieux appréhender les déterminants de son assouvissement au sein des établissements. Pour cette raison, un rappel fondamental sera effectué : la sexualité est autant une fonction biologique qu’un ressenti existentiel. C’est-à-dire qu’elle est autant une recherche (biologiquement déterminée) de « décharge pulsionnelle » qu’un besoin psychique (profondément humain) d’affectivité et de complicité dans l’échange avec un compagnon de vie. L’enjeu sera donc autant de préserver les corps que d’accompagner le sujet dans sa recherche affective et amoureuse. C’est à ce niveau que quelques interrogations éthiques concernant les notions de consentement, de dignité et d’autonomie chercheront à illustrer la complexité de ce type d’accompagnement.
- Lucas Bemben, Psychologue clinicien.
- Laetitia Kaisser, Psychologue clinicienne.
- Charlie Kalis, Psychologue clinicienne.
Source : Repères éthiques : L’accompagnement à la vie affective et sexuelle sur Psymas.fr