Il n’y a qu’un seul être à qui je voudrais dire ces mots de nouveau. C’est à toi, Tekoa.
Un dessin de Francesca Tremblay
La nuit allongeait doucement ses bras pour bercer la vallée. Le vent chaud dans les arbres faisait danser les feuilles rondes des trembles qui frissonnaient d’impatience dans l’obscurité naissante. Nous nous trouvions dans cette clairière, à l’orée des bois, et la brise légère entendit nos prières. Je m’en souviens comme si c’était hier. Et pourtant, c’était il y a plus de mille ans.
Le cœur de la forêt battait si fort et le mien vibrait d’émoi. Les chants de nos frères et de nos sœurs s’élevaient vers les cieux pour s’accrocher aux étoiles et les faire filer autour de la Terre Mère. Ces complaintes brodaient autour des astres une géante toile d’araignée qui capturait les mauvais songes et laissait s’échapper les plus doux pour des milliers de lunes et de soleils encore. Mais les étoiles les plus mirifiques gîtaient au fond de tes yeux aux couleurs de la nuit. Ils me souriaient tandis que je chantais pour toi.
Comme toutes les autres femmes du clan, je dansais autour du feu pour ma sœur la Lune. Tel le hurlement du loup, mes chants atteignirent son bleu visage qui illuminait la clairière. Je dansais pour toi, toi qui étais moitié de moi.
Nos pas faisaient voler les lucioles qui nous encerclaient de leurs étincelles bienfaisantes. Nos corps célébraient le rythme de la fête, et ce langage unissait même les clans les plus revêches. Ta bouche dans mon cou. J’étais folle de toi. Et tu fis glisser sur ma joue la plume de l’oiseau noir.
J’étais à bout de souffle. La danse, les hymnes, et toi qui me faisais tourner la tête. Tu préserverais mon honneur parce qu’il était maintenant tien. Tu me soulevas et, mes jambes accrochées à ta taille, je savais que tu ne t’envolerais pas comme ton frère le corbeau.
Mon cœur était grizzly. Il tuerait pour te garder. Il serait plus fort que cet ours qui avait croisé ton chemin. Nous dansâmes encore pour mon père le Vent. Il nous bénissait des effluves que les champs faisaient naître lorsque les fleurs éclosaient. Et mon cœur s’emplit d’amour. Les femmes étaient faites des plumes des aigles et les ciels portaient jusqu’à l’infini nos amours authentiques et hurleurs.
L’écho de la forêt me murmure encore aujourd’hui notre ferveur et réveille mes ardeurs. Les dents de l’ours pendaient à ton cou et à tes bras ; tu étais un grand guerrier. Ce soir-là, nous avons salué celui qui avait combattu pour sa vie.
Mon cœur est cette forêt immortelle et je guette tous les corbeaux qui portent ton nom, Tekoa.
Francesca Tremblay
NOTICE BIOGRAPHIQUE
Cette jeune femme a à son actif un recueil de poésie intitulé Dans un cadeau (2011), ainsi que deux romans jeunesse : Le médaillon ensorcelé et La quête d’Éléanore qui constituent les tomes 1 et 2 d’une trilogie : Le secret du livre enchanté. Au printemps 2013, paraîtra le troisième tome, La statue de pierre. Plusieurs autres projets d’écriture sont en chantier, dont un recueil de poèmes et de nouvelles.