d'après ALEXANDRE de Maupassant
Comme tous les jours à quatre heures,
Alexandre, en fidèle domestique
Promenait pendant plus d’une heure
Dans une petite voiture de paralytique
Mme Carette, sa patronne impotente.
Son mari, Joseph Carette,
Capitaine en retraite,
Était connu
Pour sa mauvaise humeur permanente.
On pouvait l’entendre depuis la rue
Tant il vociférait fort et sans arrêt.
Elle, par contre, était considérée
Par tous,
Aimée par tous.
Autrefois, Alexandre avait été
L’ordonnance de l’officier.
Maintenant, il servait les deux retraités.
De ce long service dévoué, était né
Entre Mme Carette et son valet
Une espèce de familiarité
Qui, pour lui, était respectueuse
Et, pour elle, affectueuse.
Entre eux, ils parlaient avec liberté
Comme on le fait
Entre gens égaux.
Leur principal sujet de causerie
Était le caractère du capitaine, aigri
Par une carrière commencée avec brio,
Mais écoulée sans avancement
Et terminée sans lauriers.
Carette était mal levé, quotidiennement !
-« Ça lui arrive trop souvent
Depuis qu’il a quitté l’armée. »
-« Oh ! Madame, ça lui arrivait déjà avant. »
-« Ça c’est vrai. À vingt ans,
Il espérait être colonel à sa retraite
Mais il a atteint la cinquantaine,
Sans pouvoir aller plus haut que capitaine. »
-« Qu’ainsi, moi Alexandre, il me traite,
Soit. Mais vous, Madame, c’est différent. »
-« Comme nous sommes mariés,
Il est naturel que je le supporte
Mais je ne saisis pas
Que, vous, si longtemps, vous l’ayez enduré. »
D’une voix forte,
Alexandre s’écria :
-« Oh ! Moi,…madame,…je ne compte pas. »
-« Vous étiez son ordonnance quand il m’épousa
Et vous ne pouviez que le supporter.
J’y ai souvent pensé.
Mais, depuis, pourquoi êtes-vous resté
Avec nous alors que vous auriez pu vous marier,
Créer une famille, avoir des enfants ? »
-« Oh ! Moi, madame, c’est différent. »
Puis Alexandre se tut, plein d’hésitations.
Madame Carette suivait sa pensée :
-« Vous avez reçu de l’éducation…»
Il l’interrompit avec fierté :
-« Oui. J’avais étudié
Pour être charpentier. »
-« Alors, pourquoi êtes-vous resté ici
À gâcher votre vie ? »
-« C’est comme ça. C’est la faute de ma nature.»
-« Comment… de votre nature ? »
-« Oui, quand je m’attache,
C’est fini, je m’attache. »
-« Ce n’est pas la douceur de M. Carette
Qui vous a attaché à lui pour la vie. »
Alexandre agita la tête
Et murmura : -« C’est pas lui,
C’est vous, madame ! »
La vieille dame
Qui avait une figure très douce
Couronnée par une coiffure frisée rousse.
Du plus bel effet
Fit un mouvement oblique
Et contempla le domestique
Avec des yeux étonnés :
-« Moi ? Comment ça ? »
Alexandre se mit à regarder de ci de là
Au loin, puis de côté
Comme font les hommes timides forcés
D’avouer un secret honteux.
Il déclara avec le courage du troupier
À qui on ordonne d’aller au feu :
-« C’est comme j’ vous l’ disais.
Quand j’ai porté
Une lettre du lieutenant
À mademoiselle
Et que mademoiselle
M’a donné un franc en me souriant,
Ce fut décidé. »
Comprenant mal, elle insistait :
-« Voyons, expliquez-moi ça. »
Alors Alexandre jeta
Comme un criminel avoue un attentat :
-« J’ai un sentiment pour madame. Voilà. »
Mme Carette, pleine de sensibilité,
Ne répondit rien, cessa de le regarder
Et songea, non sans raison,
Au dévouement de ce pauvre garçon
Qui avait tout abandonné
Pour vivre à côté d’elle,
Sans rien dire. Elle eut envie de pleurer.
Puis, prenant un air grave, mais point fâché :
-« Rentrons, Alexandre, s’il vous plait. »
Dit-elle.