Aline - La rivière est profonde
On savait les Aline magistraux sur Regarde le Ciel. Carton mérité de l’année 2013. On savait les Aline artisans de mélodies imparables, toutes en ligne claire pour mieux tromper l’ennemi. On savait qu’Aline ne serait définitivement pas un coup de vent, un courant d’air avant que la fenêtre ne claque. On savait que les maudits garçons avaient des références, des ressources, de l’envie. On savait que Romain puisait un peu partout l’inspiration, qu’Arnaud et Vincent avaient vu mille scènes, joué sur dix registres différents. On savait les liens antérieurs (Pastels, Orange Juice) actuels (Alex Rossi, Autour de Lucie, Daho, Barbara Carlotti). On savait que ce groupe prometteur, peaufiné sur des années d’épreuves, promettrait.
Ce qu’on ne savait pas, c’était comment. Comment dépasser la perfection ciselée, vaporeuse ou nerveuse d’un album qui cache sa profondeur dans de petits noyaux modestes d’euphémismes ? Comment dévier sans brusquer, faire apparaître l’inquiétante étrangeté comme une piste possible, sans toutefois faire chavirer la barque ?
La rivière est profonde est un début de réponse. Titre inédit présent sur la compil France 2014 et plus..., le morceau distille une gravité juste caressée du doigt, joue encore la carte d’une tension paradoxale entre légèreté et pesanteur pour notre plus grande appréhension. Instrumental sec et expéditif, basse frondeuse, claviers solennels, guitare toute en retenue ironique, construction qui s’éclaire d’une lecture de Guy Debord par une voix juvénile :
« Il y avait les rues froides et la neige, et le fleuve en crue : "Dans le Mitan du lit – la rivière est profonde." Il y avait les écolières qui avaient fui l’école, avec leurs yeux fiers et leurs douces lèvres ; les fréquentes perquisitions de la police ; le bruit de cataracte du temps. "Jamais plus nous ne boirons si jeunes. »
(Panégyrique, Guy Debord, 1989)
Les Aline présentent une nouvelle facette, référencée et en eaux troubles. Mais après tout, il y avait déjà du Jean Eustache et ses petites amoureuses chez eux. La progression semble donc cohérente ET passionnante.
Si la rivière est profonde, le chapeau magique des Aline ne le semble pas moins. Et c’est avec une infinie patience qu’Euphonies attend le nouvel album, prévu pour 2015.