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INTERVIEW: Mayra Andrade, la jolie voix du Cap-Vert

Publié le 03 octobre 2014 par Diesemag @diesemag

Autodidacte, enfant du monde, auteur et chanteuse sincère, la belle Mayra Andrade est née le 13 février 1985 à Cuba de parents cap-verdiens. C’est très tôt qu’elle se découvre une passion pour la musique, et le goût des voyages. Cette star internationale fait l’unanimité auprès du public, mais aussi auprès des grands noms de la musique comme Charles Aznavour avec qui elle a partagé une chanson Je Danse Avec L’amour, ou encore la très regrettée Césaria Evora que Mayra a eu la chance de rencontrer de son vivant. Son quatrième album intitulé Lovely Difficult est sorti en novembre 2013, orienté vers le brésil, au son de la bossa nova, un univers métissé qu’elle décline en français, crioulo (créole cap-verdien), portugais, et anglais. Nommée aux Victoires de la Musique 2014, la voix chaude de l’interprète de la Morna est un brin jazzy, véritable délice suave et sensuel qui fait appel à tous vos sens.

Aujourd’hui je vous emmène à sa rencontre depuis un petit jardin parisien, ville où elle a posé ses valises. Nous avons parlé de son enfance, de la musique, de sa mère et un peu de mode. Mayra est douce, posée et c’est un véritable plaisir d’échanger avec elle. Interview avec la délicieuse chanteuse cap-verdienne MAYRA ANDRADE.

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#EVA : Bonjour Mayra, peux tu te présenter à nos lecteurs?
#MayraAndrade : Je suis chanteuse, cap-verdienne, afro-politaine comme on m’a désignée il y a quelques années. J’ai commencé à parcourir le monde très jeune, j’avais 6 ans. J’ai habité 2 ans au Sénégal, 2 ans aussi en Angola, puis j’ai été vivre en Allemagne pendant 3 ans avant de retourner au Cap-Vert pour faire de la scène à l’âge de 15 ans.
À 17 ans, je suis arrivée à Paris pour la musique, prendre des cours de chant. J’avais remporté une année auparavant le concours des jeux de la francophonie au Canada et j’ai eu une bourse pour un stage de perfectionnement vocal et c’est à Paris que j’ai décidé de le faire.

Tu es d’origine cap verdienne. Est-ce que ton prénom à une signification particulière?
On dit que chez les indiens du Brésil, Mayra est une déesse de la beauté et de l’eau. Donc pas de signification particulière, mais c’est le nom attribué à une divinité.

Je suis en compagnie d’une déesse alors…
(Rires) Pas du tout !

Tu as commencé ta carrière très jeune donc, racontes nous ton parcours depuis ton arrivée à Paris.
Pendant un an, je me suis vraiment concentrée sur mes cours de chant avec des ateliers d’écriture de manière intensive au studio des variétés. J’ai commencé à aller voir des musiciens lorsque j’assistais à des concerts avec le même discours : « je m’appelle Mayra, j’ai 18 ans je suis  chanteuse, est-ce que tu veux jouer de la musique avec moi ? ». Certains ont dit oui, j’ai donc commencé à faire des petites scènes  D’ailleurs l’un d’entre eux a joué avec moi pendant près de 10 ans. J’ai beaucoup eu de chance avec la presse car très tôt j’ai eu l’opportunité de faire de la promo, des interviews et 5 ans avant d’enregistrer mon premier album, mon dossier de presse était déjà conséquent. Les propositions de contrat se sont manifestées, j’ai signé chez RCA Victor, le label jazz de Sony et nous avons lancé 3 albums : Navega en 2006, Stória Stória en 2009, Studio 105 en 2010. Par la suite je suis passée chez Columbia et nous avons lancé Lovely Difficult l’année dernière en 2013.

Est-ce qu’on peut dire que tu as marché au culot?
Oui j’y suis allée franco et à la voix. Je chante en toute sincérité, je pense que ça se ressent, on ne peut pas mentir au public. C’est en tout cas ce qui a intéressé assez de personnes pour que des opportunités s’offrent à moi. Je suis consciente d’avoir beaucoup de chance aussi.

MAYRA ANDRADE_

Tes influences musicales sont diverses, que peut-on retenir principalement de ton registre?
Ma musique est assez hybride, c’est parce que je suis une personne perméable de nature. Je n’ai pas peur de rechercher des formules qui peuvent ne pas exister dans la musique traditionnelle cap-verdienne qui est ma base, et je n’ai aucun complexe à aller vers d’autres choses. Au contraire, je pense que ma mission dans la musique cap-verdienne est celle-là, parce qu’il m’a été donné des opportunités, de rencontres, les moyens d’expérimenter des choses qui font qu’aujourd’hui j’ai un univers hybride et ouvert sur le monde. À mon avis, la nouvelle génération d’artistes devrait être décomplexée pour leur créations parce que quand on vient d’un petit pays avec une grande culture, on a un peu peur d’être bouffé, donc on se protège. Mais la musique cap-verdienne s’est beaucoup nourrie de ce qui vient d’ailleurs, on est né de cette rencontre entre les africains et les portugais. La musique traditionnelle n’est pas en danger, elle se transforme au fil des décennies et ça va continuer.

Tu fais partie justement de cette nouvelle génération qui embellit la musique traditionnelle cap-verdienne et qui l’associe à d’autres styles musicaux. Non?
L’embellir je ne sais pas, sur ce dernier album j’avais une volonté d’illustrer ces 13 dernières années que j’ai passé à Paris et d’enregistrer des rencontres sur un disque. Mes albums ne sont que le portrait des périodes de ma vie, l’important c’est de défendre cette liberté.

Tu incarnes pour moi la femme Afro-péenne, notamment à travers ton métissage, tes voyages et ta culture cosmopolite. Où te sens tu le plus chez toi?
Au Cap-Vert sans hésiter (rires)!

Ton quatrième album « Lovely Difficult » est sorti en novembre 2013. Il y a donc presque un an. Comment a t il été préparé ou travaillé? Tu parlais plus tôt de rencontres, comment as-tu réussi à tout mettre sur un disque ?
Tout n’est jamais sur un disque, on a dû mal à tout mettre car il faut défendre une certaine cohérence. Mais c’était une volonté de vouloir une sonorité un peu plus cross over (NDLR : mélange/passerelle) entre la musique cap-verdienne et la pop. J’ai rencontré un producteur à Brighton en Angleterre qui s’appelle Mike Pelanconi, qui a un studio complètement vintage à Blackman Street, j’adore d’ailleurs le nom de la rue, et je trouvais qu’il était le bon partenaire pour m’aider à chercher ce quelque chose. C’est quelqu’un qui navigue entre le jazz et la pop, il a notamment travaillé avec Lily Allen et avait envie réellement de donner cette énergie « live » et cette chaleur dans le son, tout en laissant une place au fil rouge de ce disque qui est ma voix, puisqu’il a fallu quand même créer une cohésion dans le son et les arrangements,  entre mes compositions et celles des autres artistes présents dans cet album.

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Mario Lucio, Benjamin Biolay, Yaël Naim, Tété ont répondu présents. C’était des artistes que tu admirais déjà? Comment s’est passée la collaboration?
Tous les artistes présents sur ce disque sont soit des amis, soit des collègues pour qui j’ai de l’admiration et qui connaissent mon travail. J’ai déjà chanté avec certains, d’autres ont écrit pour moi, donc ce sont des personnes avec qui j’ai déjà un historique personnel et professionnel. J’ai beaucoup de chance au niveau du timing, tout tombait à pic.

Si tu devais choisir le nom d’un artiste pour une future collaboration…
C’est très difficile parce que selon l’univers musical, il y a des gens que j’admire vraiment. Cela pourrait être Caetano Veloso, qui est un mythe de la musique brésilienne que j’admire énormément, pour qui j’ai beaucoup de tendresse, mais que ce soit sur disque ou sur scène, je n’ai pas encore eu l’occasion de partager une chanson à ses côtés.

En quoi Lovely Difficult est-il différent de Navega?
Je trouve que ces deux disques ont beaucoup plus en commun qu’on pourrait le croire en fait. Il y a cette ambiance live sur les deux, une chaleur similaire, une certaine forme de laisser-aller. Pour la petite histoire, j’avais 20 jours pour réaliser Navega donc pas de répétitions, d’arrangements, j’avais juste les morceaux et ça  a été une énorme pression, j’étais très jeune et je ne me rendais pas compte des enjeux. Stória Stória a été le contrepoint de ce premier album, Studio 105, c’était un album plus jazz, très live, enregistré à la Maison de la Radio, un projet vraiment à part. Donc oui, j’ai eu envie sur Lovely Difficult de revenir à cet esprit de laboratoire, mais avec plus de temps quand même que pour Navega.

J’imagine que tu prends plaisir à chanter sur scène chacune de tes chansons. S’il fallait en choisir qu’une sur ce dernier album, quelle serait-elle?
Sur Lovely Difficult je dirais Ténpu ki bai la première, je trouve qu’elle illustre bien l’esprit de cet album et c’est d’ailleurs la première chanson que j’ai écrite pour ce disque et qui parle de la puissance du temps, le temps qui passe et qui guérit presque tout aussi, c’est une chanson importante pour moi. Meu Farol la dernière, car c’est une chanson que j’ai écrit pour ma mère et qui je pense, retrace bien le portrait de ma famille maternelle. C’est une chanson qui a beaucoup ému ma grand-mère et mes tantes. Je viens d’une famille très matriarcale, ma grand-mère a eu 6 filles et ça me touche qu’elles se soient reconnues à travers ce titre, c’est en tout cas ce qu’elles m’ont dit. Et pour finir Téra lonji, un hommage au Cap-Vert, une collaboration avec Pascal Danae qui vient de l’autre côté de l’Atlantique, c’est un bel exemple de rencontre. L’exercice est difficile je dois avouer !

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Je te sens vraiment très attachée à ton île, quels sont tes plus beaux souvenirs de voyage hors le Cap-Vert?
Peut-être mon voyage à Cuba. Je suis née à Cuba mais j’y suis retournée que 20 ans après, à l’âge de 22 ans, sur les pas de ma mémoire car j’avais gardé des flashs, des images de La Havane quand j’avais 2 ans. Je voulais retrouver ces mémoires, avec l’aide de ma mère qui m’a accompagné car, j’ai grandi avec cette promesse d’elle qui disait « un jour toi et moi on retournera à Cuba ». Donc on s’est rendus là-bas avec mon petit-frère et c’était un voyage extrêmement émouvant.
Je me suis rendue à la maternité où je suis née. Sur place j’ai retrouvé les sages-femmes de l’époque, bref c’était fort en émotions.

Tu as l’air très proche de ta maman, sur scène tu as toujours une pensée pour elle. J’imagine que tu voudrais toi aussi avoir des enfants un jour…
C’est vrai que je suis très proche de ma maman, j’aimerais bien avoir 3 enfants comme elle et aspirer à être heureuse. Ma mère est une femme extrêmement forte, intelligente, pleine de principes, avec un cœur énorme, c’est ce qui me touche le plus chez elle. Bien sûr elle a ses défauts, elle les connaît, je les lui rappelle de temps en temps, elle ne manque pas de le faire aussi, j’ai une belle relation avec ma mère ! Mais oui, j’aimerais avoir 3 enfants car 2 ça fait très famille européenne je trouve (rires), et qu’à partir de 3 on commence à ressembler à une vraie famille.

Parlons de ta vie de femme, tu arrives quand même malgré ton emploi de temps de nomade à avoir une vie privée ou une vie amoureuse?
Oui j’arrive à avoir une vie familiale intense malgré la distance, il ne faut pas oublier que je suis toute seule à Paris, je n’ai pas de famille mais heureusement j’ai des amis en or, des bons collègues avec qui je partage beaucoup de choses. D’ailleurs une des personnes avec qui j’aimerais travailler un jour est Asa (NDLR : chanteuse nigériane à qui l’on doit le tube Jailer en 2007), car nous sommes proches. J’ai été en couple pendant 6 ans mais célibataire à nouveau, je dois dire que c’est pas facile de vivre avec quelqu’un qui voyage beaucoup, donc il faut selon moi avoir un univers à soi qui est très gratifiant pour que la personne puisse exister au-delà de la relation et je pense que c’est valable dans l’autre sens aussi. Il y a chacun et puis le « nous » qu’il faut entretenir, c’est comme ça que je vois les choses.

TRUC DE FILLES : que trouves t-on dans ta trousse de beauté?
Du rouge à lèvres et du parfum, j’adore les parfums, je suis d’ailleurs embêtée car je n’ai pas eu le temps de me parfumer en sortant. Je suis fidèle et infidèle ! Il y a des parfums que je porte depuis des années comme For Her de Narcissio Rodriguez et des découvertes comme Bois d’iris de Van Cleef & Arpels ou Eau de Fleur de Neroli de Chloé que j’aime bien porter aussi.

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J’ai vu des photos où tu portais du Wax, également à l’enregistrement des Nova Sessions où tu avais cette jolie combinaison. Est-ce un tissu que tu affectionnes ou juste un motif de plus dans ta garde robe?
J’affectionne le wax c’est vrai parce que ça me rappelle mon vécu au Sénégal, qui a été une explosion de couleurs.  Un pays où les gens parlaient plusieurs autres langues dont le français que j’ai appris à Dakar avec une prof qui chantait pour m’apprendre à prononcer correctement le « U » français (rires). Je me souviens de ces femmes au marché, ma mère avait une admiration pour les vendeuses au marché parées d’or avec des gros boubous. Evidemment ma mère s’est faite faire plein de tenues au Sénégal et moi aussi. Donc oui, je porte de temps en temps des créations en wax et son lot de souvenirs agréables, au delà du fait que c’est aussi une affirmation d’une identité africaine qui n’est pas toujours évidente à décerner quand on me croise. Les gens se demandent si je suis latino, maghrébine, ou laotienne (rires) !

Mayra Andrade Nova Sessions ici.

Quels sont tes projets à venir?
Au mois d’octobre je vais me rendre au Mexique pour 3 concerts en hommage à Césaria Evora, un plateau réunissant d’ailleurs plusieurs artistes. En novembre je fais plusieurs concerts en commun avec Omara Portuondo qui est la chanteuse du Buena Vista Social Club, Roberto Fonseca qui est un super pianiste de jazz avec lequel j’ai déjà écrit des chansons, Fatoumata Diawara et moi-même pour quelques dates en Europe. Et sinon continuer à défendre Lovely Difficult sur les routes.  Et puis, peu à peu, commencer à chercher des choses qui conduiront à une petite graine qui germera et deviendra une nouvelle idée pour un prochain album. Mais je me mets pas trop la pression pour l’instant. Je me suis acheté une guitare électrique il y a 2 mois pour essayer, on verra. Je fais beaucoup confiance à la vie pour la suite…

Tu as une belle carrière à 29ans, tu es bien dans tes baskets, les pieds sur terre. Que peut-on te souhaiter de plus Mayra?
D’être tous les jours un peu plus heureuse et me sentir « grateful » (NDLR : reconnaissante) pour ce que j’ai. On a en nous ce petit gène de l’insatisfaction, on veut toujours plus, c’est bien d’avoir de l’ambition mais être toujours plus heureuse, aller de plus en plus à l’essentiel, c’est important pour moi.

Merci à toi pour ce moment.

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Lovely Difficult est chez tous les bons disquaires.


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