Cette année,l'Institut Libéral, en partenariat avec L'Agefi et avec le parrainage de la fondation Action Libérale, a lancé un concours d'essai pour étudiants, basé sur cette citation de Benjamin Constant:
"L'excès des impôts conduit à la subversion de la justice."
Le jury était composé de:
- Léonard Burnand, directeur de l'Institut Benjamin Constant
- Alphonse Crespo, vice-président du comité de l'Institut Libéral
- Nicolette de Joncaire, journaliste de L'Agefi
- Olivier Meuwly, historien
Les trois lauréats sont:
- Premier prix: Amel Merabet, étudiante en droit aux universités de Genève et de Paris II Panthéon-Assas;
- Deuxième prix: Fabio Capelletti, doctorant et assistant au département de science politique et relations internationales de l'Université de Genève;
- Troisième prix: David Pardo, bachelor en droit, tout frais émoulu de l'Université de Genève, et juriste dans une banque privée.
Les prix ont été remis aux lauréats par Alphonse Crespo, le 30 septembre 2014, à l'issue de la conférence de Pascal Salin qui venait de faire part à l'assistance de ses réflexions sur l'éthique et la philosophie politique de la fiscalité.
Dans son numéro du 30 septembre 2014, L'Agefi a reproduit l'essai médaillé d'or d'Amel Merabet. C'est un texte, tant sur le fond que sur la forme, digne de l'auteur de la citation qui l'a inspiré.
Son essai commence par des extraits de l'inventaire à la Prévert, qui figure dans Le Roi et l'Oiseau, le film d'animation de Paul Grimault, et qui décrit "l'absurdité et la lourdeur du sytème bureaucratique" d'un petit royaume, la Takicardie, soumis à l'arbitraire de son despote de Roi, auquel s'oppose l'Oiseau:
"Dans le chef-d'oeuvre poétique de Paul Grimault et de Jacques Prévert, deux cent soixante-neuf étages séparent les appartements secrets de Sa Majesté, le roi Charles V (et III font VIII et VIII font XVI), et le petit peuple de Takicardie."
Comme la Suisse n'a rien à envier au royaume de Takicardie en matière de bureaucratie et d'impositions diverses et variées, à tous les étages, qu'ils soient fédéraux, cantonaux ou communaux, Amel Merabet en dresse à son tour "un inventaire à la Prévert [...], où tout est vrai, sinon cinq ou six ratons laveurs", dont elle imagine la taxation avec humour...
Que ferait-on sans impôts?
"Point d'écoles! d'hôpitaux! de trains! de routes! d'agricultures! grondent les thuriféraires du service public."
Mais le prix à payer pour ce secteur public, qui ponctionne inconsidérément le secteur privé, n'est-il pas exorbitant?
"Les mécontents déplorent des impôts trop lourds, mal répartis ou mal utilisés. Ils rêvent aussi d'un système ne pressurant pas le contribuable: pas de lenteurs bureaucratiques, pas d'attentes injustifiées, pas d'incertitudes, pas de passages devant des commissions anonymes et souvent froides et hostiles, pas de soumissions à des règles jamais clairement nommées."
A quoi se heurtent les mécontents? A l'arbitraire, que Benjamin Constant définissait comme le principal ennemi de la liberté et auquel s'opposent les droits fondamentaux que sont la "liberté personnelle, la liberté religieuse, la liberté d'opinion et de diffusion, et la jouissance de la propriété".
Aussi Amel Merabet considère-t-elle la citation de Benjamin Constant sur l'excès des impôts, comme "un avertissement pertinent dans la mesure où l'excès des impôts est avant toute chose perçu comme un excès du pouvoir, par le truchement de la loi qui décide des impôts. Or, le rôle de la loi est précisément d'empêcher les excès du pouvoir".
"La valeur suprême, dans la pensée libérale, est la liberté individuelle". Laquelle conditionne la morale et la justice:
"Comment jouir de la liberté individuelle si la loi, chargée de garantir cette liberté contre les excès du pouvoir, devient elle-même l'instrument des excès du pouvoir?"
Dans un système où la loi s'oppose à la liberté individuelle, la morale est détruite, car le citoyen devient ou esclave d'un pouvoir injuste, ou fauteur de troubles s'il se révolte contre lui.
La justice, au "sens philosophique et théologique classique" de "rendre à chacun ce qui lui appartient", n'est pas mieux lotie:
"Si la loi spolie les citoyens, on voit bien que la justice est absente de la loi puisqu'elle enlève au lieu de laisser à chacun son dû - sauf à appeler cette justice "sociale"."
Or, la justice sociale est "une parodie de justice, une subversion de la justice à proprement parler":
"On ne possède pas parce qu'on a travaillé, mais parce que l'Etat a décidé que l'on possède."
On retrouve là l'arbitraire de l'Etat, dénoncé au début de l'essai:
"La justice vient de l'arbitraire de l'Etat, et non d'un ordre naturel - conforme avec le mérite et la morale - façonné par la somme du travail de chacun. Benjamin constant définissait déjà l'impôt excessif comme "un vol d'autant plus odieux qu'il s'exécute avec toute la solennité de la loi"."
Cette conception de la justice, qui dissocie droit naturel et morale, fonde l'Etat-providence et son "impératif de redistribution de la richesse collective", avec ses conséquences inéluctables: charité étatisée et subie, détérioration du pouvoir d'achat, fuite des talents etc.
Aussi devient-il impérieux de remettre l'Etat à sa place et de contrecarrer les dangers que présente l'excès des impôts en luttant contre tout arbitraire, en protégeant la liberté individuelle et en garantissant la propriété privée:
"Un véritable défi contemporain qu'il faudra maintenant irriguer, cultiver pour enfin voir fleurir l'arbre de la liberté."
Francis Richard