Prix du Jury à Cannes, Mommy fut la sensation du festival. Dans un léger contexte d’anticipation, Xavier Dolan invente tout, jusqu’au format carré du cadre, saisissant notre regard et le menant à l’essentiel : les merveilleux visages de ses personnages. Le monde, trop étriqué pour eux, trop étriqué pour Steve, est submergé par des flots de vie et d’émotion brutes.
Synopsis : Une veuve hérite de la garde de son fils, un adolescent TDAH impulsif et violent. Au coeur de leurs difficultés, ils reçoivent l’aide inattendue de l’énigmatique voisine d’en face, Kyla.
Rares sont les films d’une telle générosité. Xavier Dolan ne craint jamais d’en faire trop, son cinéma ne craint pas de crier, de gémir, de hurler, de pleurer, de se battre, de courir, de se rouler en boule, d’exploser, de mordre, de s’effondrer ou de s’extasier.Déjà Laurence Anyways nous épatait, nous acculait, nous terrassait par tous ses excès. Mommy, bien qu’un tout petit peu moins tape-à-l’oeil, déborde tout autant, de vie, d’amour et de souffrance. Après le 4/3 de Laurence Anyways, qui démontrait l’importance du portrait dans le travail du jeune réalisateur, celui-ci va encore plus loin ici puisqu’il utilise un format qui n’existe pas et qui est pourtant le format le plus naturel qui soit, le 1:1, le carré parfait.
L’objectif est double : d’abord, resserrer encore le portrait, donner aux visages l’intégralité du cadre. Rien ne doit nous divertir d’un regard, d’une blessure ou d’un bonheur qui se dessine sur les traits d’un personnage. Ensuite, il s’agit d’enfermer les deux femmes et le jeune homme dans un cadre anormalement étroit, de les prendre en étau, de rendre palpable les difficultés d’un garçon hors-norme, qui ne peut pas être normalisé. Il s’agit de donner à voir une situation d’autant plus étouffante qu’il n’y a pas d’horizon, seulement de l’espace noir sur l’écran, de l’espace non utilisé et non utilisable.
Cette fonction de l’image carrée est d’autant plus évidente que Xavier Dolan, dans l’un des plus beaux moments du film, n’hésite pas à écarter son cadre, et à le faire par les mains de Steve, utilisant un procédé de distanciation inédit au cinéma (et d’autant plus troublant qu’il ne nous distance en rien de l’histoire, bien au contraire) : le héros joue avec les bords de son univers, et l’ouvre pour y faire entrer le bonheur, l’espoir, la lumière.
Les acteurs sont formidables, et même si l’énergie qu’ils déploient ressemble parfois à un tsunami qui emporterait le film, même si les personnages sont expansifs au-delà de toute notion d’équilibre, Mommy est lancé comme une flèche vers les hauteurs vertigineuses des émotions incontrôlables.
C’est Suzanne Clément, plus sobre, plus fragile, qui nous touche le plus, à travers le très beau personnage de Kyla. Diane est plus prévisible, plus évidente dans l’univers du cinéaste québecois.
Et puis il y a Steve, à travers lequel Xavier Dolan fait le portrait extrêmement sensible des inadaptés, des surémotifs, de la fragilité et de la puissance d’un être différent qui ne peut qu’être lui-même, c’est-à-dire excessif, dangereux, formidable aussi. De ces êtres, comme le héros de Laurence Anyways, qui bâtissent le monde et les légendes, sans jamais arriver vraiment à s’intégrer au monde.
La mise en scène est splendide, le film est rempli de séquences extraordinaires, de moments de crise et de joie, le cadre toujours accroché aux beaux visages de Suzanne Clément, d’Anne Dorval et d’Antoine-Olivier Pilon. Dans cette relation très ambiguë entre une mère, son fils et une voisine, à mi-chemin entre la famille idéale reconstituée (et homoparentale) et le trio amoureux (plus naïf que malsain), la musique pop et l’image colorée et tourbillonnante jouent un rôle essentiel, elles donnent au film sa candeur et son explosivité. La vie déborde de l’écran, non pas la vie sobre, étouffée, intellectualisée du cinéma d’auteur européen, mais la vie "émotionnalisée", rendue encore plus concrète, plus fragile, plus bavarde, plus banale aussi.
Mommy est une histoire émouvante, un cri déchirant, à la fois un hurlement d’espoir et un rayon lumineux de tristesse. C’est en arrivant, tel un funambule des sentiments, à rester miraculeusement en équilibre entre le désespoir que rien ne puisse changer, et la formidable joie que tout soit encore à créer, entre la terrible douleur de la résignation et la vitalité, l’énergie indomptable d’un être qui ressent tout plus fort que les autres et qui ne finira jamais de lutter (contre lui-même, mais aussi contre toute forme de contrainte, de cadre justement), que Xavier Dolan fait de son film une œuvre qui dépasse de loin les folle qualités formelles de sa mise en scène. Le jeune prodige canadien nous donne le sentiment d’un moment unique et merveilleux dans la vie de trois personnes, un moment de rare harmonie dans des vies chaotiques, et qui comme tous les moments, est destiné à passer. Le spectateur est touché, presque coulé.
Note : 9/10
Mommy
Un film de Xavier Dolan avec Anne Dorval, Suzanne Clément et Antoine-Olivier Pilon
Drame – Canada – 1h14 – Sortie prévue le 8 octobre 2014
Prix du Jury du Festival de Cannes 2014