Ivry encore...
Evoquons aujourd'hui le second volet du diptyque imaginé par Catherine Anne pour sa troupe 100% féminine (lire notre article précédent). La comédienne-dramaturge-metteur en scène signe une version de "L'Ecole des Femmes" appliquée mais inégale, en partie à cause d'une distribution qui dans les rôles masculins pensés par Molière peine davantage à convaincre que dans ceux d'"Agnès" (premier volet de la proposition). Exception faite de la merveilleuse Marie-Armelle Deguy dont l'Arnolphe à la de Funès vaut à lui seul le déplacement. Incroyable prestation, dans l'esprit du théâtre de tréteau, physique à souhait, inventive, teintée d'une réjouissante folie... Coup double, donc, pour cette actrice fascinante et trop discrète à nos yeux, campant avec maestria deux hommes monstrueux, en alternance un mois durant.
Quelques lignes pour rappeler l'intrigue, bien connue, illustrant et dénonçant l'insoutenable mainmise de l'homme sur la femme. Pupille d'Arnolphe, isolée du monde depuis son plus jeune âge, presque séquestrée, Agnès ignore tout de la vie et de l'amour. Jusqu'au jour où, sous ses fenêtres, passe le charmant Horace dont elle va s'éprendre, contrariant fortement le dessein d'Arnolphe qui entendait bien l'épouser et en faire une femme obéissante, fidèle (surtout ne pas être cocu !) et soumise. Mais ce dernier aura beau tout tenter pour conserver celle qu'il considère comme sa "propriété", y compris la violence, il n'empêchera pas l'amour de triompher...
La comédie se déroule autour d'un dispositif scénique qui ne nous séduisit pas plus que pour "Agnès" (il s'agit du même, un bloc central rose fade grossièrement dessiné, aux ouvertures multiples, doté d'un escalier pour accéder à son sommet, offrant différents espaces de jeu, intérieurs ou extérieurs). Le rythme est bon. L'efficacité de chaque scène se voit à peu près conservée. Cela pourrait être plus drôle, plus créatif, moins sage, plus oppressant. Mais enfin on entend plutôt bien le texte de Jean-Baptiste Poquelin. Nous retiendrons surtout le célébrissime passage des maximes, pour le coup brillant, au cours duquel Arnolphe couvre Agnès de bandes de tissu et de voiles, l'emmure quasiment vivante, afin qu'on ne devine plus un centimètre carré de sa peau. Image choc. La demoiselle, se décomposant, effrayée, nous bouleverse.
Si du rôle d'Agnès, la talentueuse Morgane Arbez se sort plus qu'honorablement, elle frôle le contresens en début de spectacle, confondant presque naïveté et niaiserie, avant de se reprendre et retrouver la voie du personnage. De son côté Caroline Espaglière, Horace aux amusants airs d'ado, lutte pour nous faire oublier la femme qu'elle est, tout comme Léna Bréban en Chrysalde. Timbres trop aigus, gestes trop délicats, maniérés, pas assez brutaux... Evelyne Istria s'en sort mieux en incarnant Alain, le domestique bourru.
Parce qu'il faut absolument découvrir le travail de Marie-Armelle Deguy, il conviendra de se rendre au Théâtre des Quartiers d'Ivry avant le 2 février.
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Photos : Bellamy