J'ai lu ce livre de plus de 600 pages pendant ma période récente d'immobilisation forcée de 8 jours, une sorte de retraite, et c'était particulièrement pertinent.
Au début on entre dans le livre avec circonspection, car sa première partie – une longue introspection philosophico-psycho-religieuse – qui dure pendant 142 pages, nous met au cœur le doute. L'auteur est un homme compliqué. Doué, riche, intelligent, belle gueule, torturé, pas vraiment apte au bonheur, avec une mère un peu écrasante (Hélène Carrère d'Encausse), des remords, une œuvre fournie, le succès, déjà derrière lui un divorce et enfin, le bonheur … La question fondamentale qu'il pose – comme moi aussi depuis toujours – c'est : « Comment une secte de quelques adeptes réunis autour d'un maître n'ayant prêché que trois ans et supplicié de façon ignominieuse a pu s'imposer pendant plus de 2000 ans et représenter aujourd'hui l'une des trois plus importantes religions monothéiste du monde ? »
Ensuite, l'auteur mène l'enquête : nous voici auprès de Paul de Tarse, de Luc son compagnon, de Marc le secrétaire de Pierre, puis de Jean, le disciple préféré, de Jacques, le frère de Jésus, l'opposant le plus féroce à Paul.
Pas de prosélytisme, pas de prêchi-prêcha : seulement la volonté de comprendre et d'imaginer aussi quelles pouvaient être le portrait, la psychologie des premiers propagateurs de la parole de Jésus, les rivalités entre « chapelles », les sources des Évangiles, celles qui ont échappé à la censure de la hiérarchie, celles que l'on a découvertes par la suite, l'apport – ou l'altération – due aux copistes et aux exégètes.
Le talent d'Emmanuel Carrère, sa facilité d'écriture, la langue et les comparaisons politiques contemporaines qu'il évoque pour nous faire comprendre la situation des deux premiers siècles de notre ère, font qu'une fois (sans jeu de mot) entré dans l'enquête, on ne peut plus la quitter.
Le roman, plus particulièrement axé sur l’œuvre de Luc, permet d'imaginer comment furent composées (ou copiées les unes sur les autres) les quatre évangiles et les textes qui forment le Nouveau Testament.
En bon scénariste de cinéma et de télévision, l'auteur nous transporte par exemple à Bethléem : « Maintenant, ce qui fait la réussite d'un film, ce n'est pas la vraisemblance du scénario mais la force des scènes et, sur ce terrain là, Luc est sans rival : l'auberge bondée, la crèche, le nouveau-né qu'on emmaillote et couche dans une mangeoire, les bergers des collines avoisinantes qui, prévenus par une ange, viennent en procession s'attendrir sur l'enfant. Les rois mages viennent de Mathieu, le bœuf et l'âne sont des ajouts beaucoup plus tardifs, mais tout le reste, Luc l'a inventé et, au nom de la corporation des romanciers, je dis : respect. »
J'ai aimé cette lecture facile, qui éclaire beaucoup d'éléments inédits et érudits les bribes d'éducation religieuse qui me restaient très confusément, qui ne cherche à aucun moment à convaincre ni surtout à convertir. L'auteur a eu la foi et l'a perdue, il avoue toutefois toujours être en quête de la vérité. Ses derniers mots : « Je ne sais pas. » Moi non plus.
Le Royaume, par Emmanuel carrère, aux éditions P.O.L. 630 p., 23.90€