Dans notre société de consommateurs, rien n'est vraiment interdit mais tout est soumis à caution, tu peux manger du gras industriel et boire des sodas chimiques, mais "on" te conseille de faire des exercices physiques et de penser à manger des fruits et des légumes, tu peux acheter des cigarettes et de l'alcool mais on te prévient que c'est nocif, la drogue est en principe prohibée, mais il y a des campagnes de publicité pour t'expliquer que c'est mal d'en consommer...
Le maître permissif du libéralisme joue à fond la carte de ton surmoi.
Le surmoi obéit à cette étrange logique qui veut que plus tu lui en donnes, plus il en redemande.
La levée des interdits directs dans le discours capitaliste est le meilleur moyen de viser l'éradication du Réel (Tout devient possible!) par la réduction au silence du sujet barré/divisé, qui en tant que grain de sable de l'énonciation, est le point saillant de la vérité.
Le Réel dans son acception lacanienne n'est ni imaginable, ni symbolisable, bien qu'il ne se fasse jour qu'à travers le symbolique.
Ce Réel, dit "impossible", n'est pas pour autant quelque chose d'extérieur qui nous échapperait sans cesse parce que "c'est trop fort pour nous" ou trop inquiétant pour que nous puissions nous en saisir.
Le Réel n'est pas seulement ce qui ne peut jamais être atteint directement, c'est déjà l'obstacle lui-même qui nous empêche de l'atteindre, l'écran qui courbe la réalité telle qu'elle nous apparaît, nous empêchant de la saisir dans son en-soi.
Le point aveugle dans mon œil, ce qui modifie la réalité pour me la faire voir d'une manière particulière c'est déjà du Réel, le regard lui-même appartient au Réel, le caractère partiel et singulier de mon regard est Réel.
La manière dont les choses m'apparaissent et la manière dont les choses ne coïncident jamais tout à fait avec elles-mêmes, cet écart là est peut-être la manifestation la plus évidente du Réel.
L'idéologie "libérale", qui bien que déniée en tant qu'idéologie (présentée comme non-idéologique) cette idéologie hégémonique de nos sociétés du capitalisme tardif, repose sur l'éradication tacite de la notion lacanienne de Réel (ce qui ne "fonctionne" pas) au profit exclusif de la réalité (qui "doit" fonctionner) entraînant par là même le déni du sujet (divisé entre Symbolique et Réel) ramené sans cesse au statut comptable de l'individu (indivis, non-divisé, donc).
La fonction du discours capitaliste est d'avaliser cette évacuation du Réel (et du sujet qui lui est corrélé), ce en quoi c'est déjà, en soi, un discours totalitaire (Tout est possible!) fascisant autant que fascinant, comme on peut le constater quotidiennement...
Le moment inaugural de la liberté consiste en un refus radical pour le sujet de se trouver soi-même intégré dans la chaîne des causes et des effets.
La structure élémentaire de la subjectivité repose sur un "pas tout" de la causalité.
Le sujet n'émerge que si, entre la cause et l'effet, un écart demeure "inexplicable".
La causalité est symbolique, la cause est réelle: "il n'y a de cause que de ce qui cloche".
Si la notion de sujet dans son acception lacanienne est aussi mal comprise (et aussi peu partagée) c'est que:
• d'une part elle apparaît a priori comme contre-intuitive et même "contre-culturelle", le sujet de l'inconscient, ce n'est pas le sujet de la philosophie (cf. L'herméneutique du sujet de Foucault), le sujet de la psychanalyse c'est tout le contraire d'un individu, ce n'est pas la personne, ni l'être, etc.
• et d'autre part le repérage qu'en donne Lacan lui-même apparaît a priori comme énigmatique: "le sujet est représenté par un signifiant pour un autre signifiant qui ne le représente pas"...
Le sujet lacanien, émergeant de l'inconsistance du grand Autre (de la chaîne symbolique des causes et des effets) est une touche du Réel, la réponse même du Réel au pas-tout de l'ordre symbolique.
Le sujet qui assume sa division constitutive assume également le pas-tout du "monde", il ne cherche pas à créer des collages artificiels là où la Chose est en-soi déchirée, cette faille qui s'ouvre est l'abîme de sa liberté.