4 ans après son magnum opus, Swim, Caribou revient avec son très attendu nouvel album Our Love. Après une oeuvre aussi brillante, il est difficile de ne pas comparer son dernier travail à son prédécesseur mais là où ce dernier réussit, le petit nouveau se plante avec brio.
Et pourtant, Dan Snaith, docteur en mathématiques de sa profession, avait trouvé une formule simple (jeu de mot voulu) et efficace. Swim, l’un des plus grands albums du siècle nouveau, brillait par sa production pitch-perfect, ses sonorités uniques, son lyricisme profond et son innovation. Mélange varié d’influences, il transfusait pop et indie rock à travers la house et la techno sans faire de concessions. Le résultat était sans pareil, une collection extraordinaire de chansons toute aussi parfaites les unes que les autres, un patchwork de genres qui unissait aussi bien les amateurs de rock que les puristes techno, le tout consolidé par une production hors du commun. Son avant-dernier album était l’album parfait, le Graal électronique, l’oeuvre aux mille influences douée d’une précision géométrique. Son doctorat en mathématiques y était probablement pour quelque chose… Mais l’application de ce génie en musique relève d’un talent incommensurable. Le surplus d’idées et de sonorités a été si bien géré et mis en place que tout s’assemblait avec perfection comme dans une équation… et tout artiste sait à quel point avoir trop d’idées est l’une des plus grandes difficultés quand on aborde la création d’un album. Swim était parfait. Suivre une oeuvre aussi colossale relève du défi mais un producteur de son acabit n’a (en théorie) aucune crainte à avoir.
Pour un artiste qui maîtrise le crossover musical, puiser dans de nouvelles influences ne devrait pas être un problème. Caribou est un musicien qui se renouvelle à chaque création et qui compte dans son CV un étalage allant du post-rock à la pop psychédélique à la microhouse. S’il a toujours tourné son regard vers le passé, Our Love est sa vision du futur, brodée de trap et d’électro-pop. Entre Swim et cet album, il y a eu ses tribulations techno avec Jiaolong de son alias Daphni qui a troqué pop contre kick drums tout en gardant son génie habituel. Il convient de recontextualiser le tout : Swim était l’essai dansant de Caribou, inspiré par Theo Parrish et sa vision de faire danser les auditeurs sur des sons qui n’ont pas forcément été conçus avec cette idée là en tête. Jiaolong a vu l’artiste s’orienter vers le dancefloor en maîtrisant les structures qui s’y prêtent tout en gardant le génie imprévisible de Swim, une sorte de suite logique. Our Love, dans son cas, est une sorte de chaînon manquant entre la pop-through-techno du premier et la techno-through-pop du second. Ici, il s’agit plus de pop-through-deep-through-balearic-through-trap, ce qui n’est pas forcément une mauvaise idée, comme l’a montré John Talabot avec ƒIN. La production est toujours aussi parfaite et à vrai-dire, très peu d’artistes cette décennie peuvent se vanter d’être aussi doués que Dan Snaith. C’est peut-être le seul point commun que partage Our Love avec sa demi-douzaine de grands frères. La discographie de l’artiste touche de par sa variété, sa couleur, ses surprises, etc. Swim nous a conquis en une seule écoute et en a pris une vingtaine pour nous montrer tous ses secrets. Our Love, au bout de cinq ou six écoutes, peine à captiver l’attention. La production est peut-être bien un défaut : c’est trop clean, il ne se passe rien. Tous les détails, les samples obscurs, les textures riches, les changements brusques, le maintien de l’intensité… rien n’est présent ici. C’est un album construit comme une collection, sans structure et sans surprises, un étron super bien produit.
Malheureusement, la voie de la simplicité ruine les efforts faits sur la production. Si la deep house est un genre d’entrée pour beaucoup d’aspirants producteurs, c’est aussi une trappe vers un beat 4/4 générique. Or, Snaith savait innover au delà des limites du genre, en faisant sonner par exemple le she can say du refrain d’Odessa avec précision comme un refrain de deep house sans pour autant en être. Là, il a remplacé l’imprévisibilité par la linéarité. Si Andorra était linéaire à souhait avec la formule classique couplet/refrain/couplet/refrain, il réussissait à enjouer chaque transition avec des moments de rush, des samples imprévus ou des changements de ton. Our Love, de son côté, n’évolue quasiment pas, au point où on se retrouve presque avec des brouillons parodiques. Our Love, le title-track, sonne comme une première esquisse d’un producteur lambda qui s’essaie à la musique électronique. Tout est là : sample vocal basique, beat classique, progression évidente, breakdown, trop de mélodies qui s’enchaînent sans raison… pitié, il y a même des strings (sans saveur) à un moment. C’est limite un pastiche de deep house, on devine ce qu’il va se passer toutes les 8 bars et le tout avance très lentement. Dan Snaith a toujours su étonner son public, même quand il joue la carte du banger : Hannibal, Ye Ye, Light… Il ne se passe littéralement rien sur cet album. Pour un album quelconque c’est déjà un défaut mais pour un album d’un type qui sait captiver les auditeurs toutes les 5 secondes, c’est encore plus grave.
Caribou est un artiste complet qui excelle bien plus loin que la simple production : il maîtrise l’intensité, les structures et les changements comme personne. Il a prouvé plusieurs fois par le passé qu’il savait passer de la douceur à l’agression d’une manière tellement propre que le tout semblait naturel : les passages silencieux de Jamelia explosaient en quelques secondes et redescendaient comme une plume, le dernier refrain de Melody Day se déchaînait encore plus fort qu’avant après un semblant d’outro pour l’un des plus grands moments de sa discographie, etc. Leave House, de son côté, offrait un thème et des lyrics douloureux et particulièrement violents sur l’un de ses tracks les plus upbeat et le contraste entre la douceur quasi-enfantine (cette flûte !) et l’intensité poignante de la douleur de Snaith était maîtrisé avec une précision hors du commun, l’un ne débordait jamais sur l’autre. Il faut un certain niveau de contrôle pour réussir à dire à sa compagne qui le trompe de quitter la maison en chantant l’air enjoué et victorieux. C’est clair, il a toujours réussi à exploiter le maximum du temps qu’il se donne sur chacune de ses créations musicales tout en régulant la tension. Ici, c’est rarement le cas. Quand le tout n’avance pas en autopilote, il y a quelques moments de génie. A vrai dire, il y en a un seul, le premier single, Can’t Do Without You, ballade house qui donnait beaucoup d’espoir. On a droit aux synthés noyés de reverb, à son falsetto unique, aux gros moments de ruée instoppables, aux passages de 0 à 100 puis de 100 à 0 plus rapides qu’une voiture de course, etc. C’est la balance optimale entre le Daphni sous MDMA et le Caribou émouvant, la house qui rencontre la pop psyché, les textures organiques à souhait, la chanson pour les fans de pop et pour les grands festivals… la chanson tellement parfaite, accessible et clean qu’elle a eu droit à un remix quasiment parodique de la part de certains producteurs-du-jour (comprenez « on ajoute un kick »).
Voilà, après ça, l’album est bon pour la corbeille. On a droit à des brouillons trap vides, dont le terrifiant Dive, qui évolue à l’envers et qui réussit à devenir encore plus ennuyeux en se vidant peu à peu. Julia Brightly aurait pu être un excellent track de Daphni, relégué au stade de simple interlude. De même pour Mars, qui rappelle Light sans le côté dérangé et qui avance sans objectif. Je ne reviendrai pas sur le manque de goût de l’intro, ça serait de l’acharnement. Second Chance est un sous-Kaili sans progression qui flirte avec le R&B, chanté par Jessy Lanza, servi par des lyrics cringe-worthy. A vrai dire, la majorité des lyrics de cet album est mauvaise. Déjà, il y en a trop peu, trop de chansons sont instrumentales, ce qui fait de l’ombre à son lyricisme de génie. Il a pourtant montré qu’il pouvait faire des bangers et montrer toute sa prouesse lyrique, comme avec Hannibal où après 4 minutes satisfaisantes de techno et un travail colossal sur les drums, il nous offre un couplet déchirant. Ici, tout est mal écrit, on a droit à un songwriting vague, vide et brouillon. How can we fix our love now that we know it’s broken? // To be with you is all I ever need, all this time I’ve just been waiting for you // You’re my sweet thing, the only thing I want is to caress you… etc. Le pire c’est que ces lyrics proviennent de TROIS chansons différentes. Tellement de vide thématique, si peu de substance, c’en est presque triste. Ce qui est vraiment triste, c’est que c’est vraiment bien produit. C’est vraiment du gâchis. Les drums de Mars sont magnifiques, les synthés de Can’t Do Without You sont doux et chauds, les hi-hats sont croustillants, etc. Certes, certaines basslines manquent de punch, mais dans l’absolu, tout est individuellement très bon… ce qui n’est pas suffisant.
Le problème n’est pas le côté accessible ou le côté dansant, ni le manque de structure. Jiaolong n’était qu’une collection de chansons faites pour le dancefloor mais elles étaient tous excellentes et fascinantes. Swim explorait de nouvelles sonorités et était une révolution pour l’artiste mais il a su exploiter les nouveaux genres qu’il abordait avec génie et a réussi à les intégrer à son travail naturellement. C’est juste tout simplement mauvais. Rien ne sonne bien, c’est très mal écrit, on passe de pop de radio à trap brouillon à wannabe-daphni à chanson lyrique à chanson instrumentale à banger, on se fait chier, tout est prévisible, il n’y a pas assez de Caribou ni de Daphni, etc. Tous les éléments qui rendaient tous ses autres albums aussi fantastiques ne sont pas présents. Our Love est générique, chiant et mal conçu, c’est aussi simple que ça.
La barre était trop haute, certes, mais même en plongeant dans l’album sans connaître l’artiste, Our Love est un échec total. D’après ses dires, il avait préparé plus de 700 brouillons pour Swim. On se serait volontiers contenté de B-sides d’un des meilleurs albums du siècle mais à la place on se retrouve avec 10 chansons sans vie ni raison d’être. Avec ce dernier, on était conquis dès les premières secondes de l’intro et leurs sonorités qui, après 4 ans, n’ont toujours pas trouvé d’origine (dindon ? synthé ? vocal ?). Avec Our Love, on prie en vain pour un moment salvateur au bout de 20 minutes. C’est un fiasco sans structure, sans cohérence, sans surprises et surtout monotone. Super bien produit, d’accord, mais un diamant brut vaut mieux qu’un étron bien poli. Pour un artiste à la carrière aussi bariolée, le gris est une couleur qui lui va décidément très mal.