"Toi, tu es amoureux !". Qui ne s’est jamais senti embarrassé par cette exclamation intrusive, qui vient soudain l’arracher à l’objet de ses rêveries ? Et pour cause : si penser à quelqu’un peut souvent paraître banal, nous savons tous qu’il ne s’agit pas là d’une pensée comme les autres. Gorgée d’amour, de haine ou de jalousie, mais jamais anodine. Bien que "nous ne choisissons pas toujours ceux à qui nous pensons le plus", aucune autre idée ne donne tant l’impression d’exister et d’être prisonnier à la fois, concentré et déconnecté de la réalité extérieure.
Absorbée, distraite, « ailleurs » : la personne entichée se reconnaît aisément à cette absence délicieuse, flottant dans une contemplation aussi intime que potentiellement destructrice. Un sourire aguicheur, un rire un peu rauque, ou cette façon si particulière de tenir une cigarette. "Penser à quelqu’un, c’est penser à un style" pour Frédéric Worms. "C’est voir le monde entier sous un angle et sous un signe, dans un regard et dans un sens". Quand l’imagination suffit à créer l’illusion d’une présence bien réelle, rien de tel qu’un "tu me manques" pour conjurer la distance au-delà des mots. Une alchimie aussi paradoxale que cette curieuse plénitude atteinte en l’absence de l’autre : celle d’un "entre nous exclusif".