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surprise en ...galanterie !

Publié le 01 octobre 2014 par Dubruel

d'après L’ARMOIRE de Maupassant

Un soir, j’entrai aux Folies-Bergères,

Cette grande halle aux filles légères.

Mon choix s’est fixé

Sur une petite qui semblait

Fraîche et gentille. Elle habitait tout près.

Dès que nous sommes arrivés

Chez elle m’a dit d’une voix forte :

-« Puisque tu restes jusqu’à demain,

Attends-moi une minute, je reviens. »

J’entendis alors deux portes se fermer

Puis il me sembla qu’elle parlait.

Je fus surpris, inquiet.

Un souteneur ? On remuait,

On marchait. J’entendis encore parler.

Quand la drôlesse revint, elle me dit :

-« Tu peux entrer. » J’entrai.

Après avoir traversé la salle à manger,

Je pénétrai dans sa chambre. Elle reprit :

-« Mets-toi à ton aise, chéri. »

Soupçonneux, j’inspectais l’appartement.

Rien ne me parut inquiétant.

Elle se déshabilla, se mit au lit

Et me dit : -« Eh bien !

Mon chat, tu viens ?

Je l’imitais et la rejoignis.

Mais soudain, tout près, j’entendis

D’abord un soupir, puis un léger bruit.

Comme si quelqu’un avait glissé

D’une chaise ou d’un tabouret.

Je m’assis brusquement dans le lit :

-« Qu’est-ce que ce bruit ? »

Tranquillement,

La fille me répondit :

-« Ne t’inquiète pas, c’est la voisine.

La cloison est si fine

Qu’on l’entend

Comme si elle était ici. »

Nous nous mîmes à causer.

-« Quel a été ton premier amour, dis-moi ? »

-« C’était un canotier,

Je crois. »

-« Ah ! Et tu l’as rencontré où ? »

-« À Chatou. »

-« Qu’est-ce que tu y faisais ? »

-« J’étais bonne dans un restaurant. »

-« Quel restaurant ? »

Au Marin d’eau douce. Tu connais ? »

-« Parbleu, chez Burnat. »

-« Oui, c’est ça. »

-« Et comment t’a-t-il fait la cour, ce canotier ? »

-« Pendant que je faisais son lit, il m’a forcée. »

-« Ton histoire, tu sais, je la connais.

Ce n’est pas le canotier

Qui t’as connue le premier. »

-« Oh ! Si, je te le jure. » -« Tu mens.

Allons, raconte-moi tout, calmement. »

Étonnée,

Elle hésitait.

Je repris : -« Je suis sorcier.

Si tu ne dis pas la vérité,

Je vais t’endormir et je la saurai. »

Elle eut peur et balbutia :

-« Comment l’as-tu deviné, mon chat ? »

-« Allons, parle ! »

-« C’était la fête du pays.

On avait fait venir un chef d’extra, M. Karl.

Quand la journée fut finie,

J’ai causé un peu avec lui

Puis il m’a dit :

’’Viens avec moi. Je vais me promener.’’

Comme une sotte, j’y allai.

Peu après, il me forçait

Puis il s’est sauvé.

Je ne l’ai pas revu depuis ça. »

-« C’est tout ? » Elle bégaya :

-« Oh ! j’ crois bien qu’il est à lui, Florent. »

-« Quel Florent ? »

-« C’est mon petit ! »

-« Ah ! Et tu as fait croire au canotier

Qu’il était le papa,

N’est-ce pas ? »

-« Pardi ! »

-« Il avait de l’argent, le canotier ? »

-« Oui, il m’a laissé

Une rente de trois cents francs

Sur la tête de Florent. »

Je commençai à m’amuser.

-« Et quel âge a t’il, Florent ? »

-« Il va sur ses douze ans. »

Et à ce moment précis

Un grand bruit me fit sauter du lit,

Le bruit d’un corps qui tombait,

Qui se relevait, qui tâtonnait.

Un bruit de mains sur une paroi.

Furieux, je regardais autour de moi.

La fille me dit : -« Ca n’est rien

Je t’assure, ce n’est rien. »

J’ai ouvert l’armoire d’où provenait le bruit

Et découvert… à demi-endormi,

Un petit garçon pâle

Assis à côté de la chaise de paille

D’où il venait de tomber.

Dès qu’il me vit, il se mit à pleurer :

-« Ça n’est pas ma faute,

Ça n’est pas ma faute.

Je m’étais endormi et j’ai tombé.

Faut pas me gronder. »

Je demandai

Ce que cela signifiait ? »

La mère confuse et désolée.

Articula d’une voix entrecoupée :

-« Comme je ne gagne pas assez de pognon,

Je ne peux ni le mettre en pension

Ni louer un appartement plus grand.

Alors je le garde avec moi, ici

Quand j’ai pas de client,

Il dort dans mon lit.

Si un client ne vient qu’un moment,

Il reste dans l’armoire, sagement.

Mais quand un client paye pour toute la nuit,

Ça lui fatigue les reins, pauvre petit,

De dormir sur une chaise.

Alors il tombe parfois.

Tu te vois, toi

Dormir sur une chaise ! »


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