Marathon de Berlin, marathon de la fin

Publié le 01 octobre 2014 par Emmanuel S. @auxangesetc

A l’heure qu’il est je suis un zombie,  fébrile et délirant. D’où les phrases qui suivent sans doute… ou pas.

Assis là,  sur un trottoir, Friedrichstrasse à Berlin, ou encore, ici, par terre, à l’aéroport de Schoenfeld, à mater des allemands qui lisent le BILD et son compte-rendu du marathon de Berlin 2014. Le vol tarde. J’ai mal à  la tête. J’ai mal aux quadriceps. J’ai  une contracture au mollet gauche. Sans parler des lombaires et du cou, bloqués.

A quoi bon ? Tout ça pour ça?  2 mois d’entraînement pour abandonner au 19ème,  dans mes rêves au moins, les plus sensés, entendre Mel me dire « Va z’y, tu vas bien, je le vois, continue! « , lâcher l’affaire au semi-marathon,  tenter de finir en mode footing, m’arrêter longuement à  chaque ravito avec le secret espoir de la voir. L’écouter achever mon calvaire sans prononcer ce mot honteux, ‘abandon’, « Allez viens, le métro est là, on rentre, on s’en fout de la course, du marathon, on va visiter la ville autrement, comme tout le monde moins 40 000 personnes, ta vie est ailleurs« .

Mais elle croit encore connaître celui que je ne suis plus, alors elle s’est planquée jusqu’au 38 ème,  je me suis planté devant elle, surprise, elle m’a dit « Qu’est-ce que tu fais ? » J’ai répondu « J’essaie de prendre du plaisir« . Du plaisir. Du fun. Un truc que tu peux aussi éprouver en buvant du vin avec des amis, en lisant du Pennac ou en glandant en vacances… Du plaisir sur le marathon de Berlin aussi, quand même, en discutant avec un gars plus mal que moi (oui, c’etait possible) de la Garenne-Colombes, ou un autre de Talence.  En traversant tout un boulevard germanique et une haie de coureurs pour taper dans la main d’une jeune fille trisomique heureuse de ce spectacle gratuit à ciel grand ouvert.

C’était bon, même si les larmes ne sont jamais loin.

Ca ne m’amuse plus de souffrir, pour rien, pour quelque chose, pour si peu. Je ne sais pas comment c’est parti ni pourquoi, j’exècre ce moment désormais, celui de la ligne de départ, seul,  je pense à Enzo, où le moindre signe me fait chialer comme un con alors que j’ai payé 110€ pour en être, dimanche son prénom sur un tee-shirt, ce moment fatal où la trouille m’attend, la peur de la douleur, et tout ce cirque, cette musique à la Gladiator et les lâchers de ballons, tout m’indiffère.  Sauf peut-être la chaleur humaine des spectateurs et leurs encouragements, vains, gratuits, inutiles. Me faire bousculer pour un gobelet d’eau par des abrutis qui jouent leur vie sur une course, c’est pas pour ça que je cours. Que j’ai couru. Que je courrai. Je n’ai plus rien à expier, il est trop tard, Enzo ne me le demande plus. Ne me l’a jamais demandé. Je me suis longtemps inventé tout un tas de raisons qui sont celles d’un autre à présent.

Je ne sais pas si cette médaille kitschissime arborée niaisement par une horde de runners dans les rues de Berlin dès la fin de la course et encore le lendemain sera ma dernière sur marathon. On s’en fout d’ailleurs.  Je sais seulement qu’un long break marathon m’attend, histoire de voir si j’y suis.
Pour mes autres souffrances, la course n’y peut plus rien, je dois vivre avec… Sans m’en rajouter. Plutôt qu’une fin, c’est un début, une nouvelle histoire qui commence.
I sit and watch, As tears go by… this is the evening of the day.