Note : 2,5/5
Still the water fait partie de ces films problématiques dont on reconnaît la beauté mais dont on ne peut oublier les (gros) défauts. Malgré sa réussite plastique, le nouveau film de la japonaise Naomi Kawase souffre d’une saturation symbolique, et témoigne de l’incapacité de la réalisatrice à savoir s’arrêter au bon moment. Un problème de mesure qui plombe un projet pourtant prometteur.
© Haut et Court
Sur la tranquille et préservée île d’Amami, Kaito, jeune homme mutique, retrouve un corps sur la berge. Tandis que la mère de son amie Kyoko se meurt, les deux jeunes gens apprennent progressivement à s’aimer, et découvrent ensemble le monde adulte.
Les thématiques intéressantes (et personnelles, quand on connaît l’histoire familiale de la réalisatrice) abondent : il est ici question de transmission entre générations, mais aussi de communication (entre les membres de la famille, entre amoureux). Le film fait se heurter la jeunesse de ses personnages et la mort qui affleure, le désir naissant et la menace de l’âge adulte. Le lieu – cette fameuse île, avec tout ce que cela engendre de souci de préservation et d’autonomie – est propice aux séquences rituelles, qui présentent l’intérêt de fournir une matière tant visuelle que narrative, et aux plans fascinés de la mer et des banians.
Un tel décor, d’une grande beauté, ainsi que le charme des acteurs contribuent à donner au film son identité visuelle. Les plans, le plus souvent mobiles ou en caméra épaule, sont parfois longs, s’autorisant une observation calme des vagues grossissant aux abords de l’île tandis que se rapproche le typhon.
© Haut et Court
Ce rythme pourrait être celui de la contemplation. Malheureusement, le film échoue à se maintenir en équilibre et s’avère très inégal. Les problèmes de scénario abondent : le corps retrouvé sur la plage, qui sert de départ au film, ne trouve de fonction que dans un fantasme dont on n’aura pas le fin mot. L’impression d’un prétexte est d’autant plus désagréable que, si cet élément inexpliqué méritait un traitement plus poussé, la plupart des autres "ingrédients" du film sont, à l’inverse, surexploités jusqu’à en être vidés de toute force symbolique.
Cet excès explicatif plombe la potentielle dimension contemplative. Certains moments sont même à la limite de la métaphore poussive : l’eau du titre est utilisée à toutes les sauces, vague-femme ou mer-désir. Ces symboles, loin d’être amenés subtilement, nous sont servis par de quasi-monologues presque ridicules ou par des raccourcis de montage et des effets de mise en scène superflus.
Le problème de Kawase réside bien dans son ignorance de la mesure, tant en termes de symboles que de rythme. Lorsqu’elle tient un épisode "fort" (exemplairement, la mort de la mère), elle ne parvient pas à s’arrêter "à temps" et fait durer la séquence jusqu’à lui retirer son potentiel émotionnel. Ces lenteurs enlèvent ainsi au film toute spontanéité. A l’inverse, certains passages s’avèrent extrêmement maladroits : la séquence qui voit les deux jeunes gens parvenir enfin à coucher ensemble est traitée en un raccourci surprenant pour ces personnages qu’on nous avait montrés si timides.
© Haut et Court
Difficile de ne pas être un peu déçu par ce film beau, ambitieux, mais très inégal. C’est dommage car la question fondamentale de Still the water – celle que se posent les deux jeunes gens : pourquoi faut-il que les gens naissent et puis qu’ils meurent ? – servie par l’exigence formelle de la cinéaste, avait de quoi faire la matière d’un grand film.
Alice Letoulat
Film en salles le 1er octobre 2014.