Au delà d'une
quelconque opinion politique, Kaléidoplumes propose le sujet suivant:
Imaginez un jeune garçon, ou une jeune fille, survivant(e) des camps, qui tient un journal intime.
Ce journal n'a pas de date, juste des impressions couchés sur le papier.
Sur ce cahier, il (elle) ne parle pas de ce qu'il (elle) a vécu avant, mais plutôt de son retour à une vie normale, et surtout de l'espoir à une vie meilleure.
Une contrainte à ce texte.
Il faudra intégrer la phrase suivante:
14 mai 1948: L'état d'Israël vient de naître. Quel avenir pour moi?
... En fait j'ai un peu réinterprèté tout ça....
Des soldats sont venus et nous ont dit que tout était fini, que nous étions sauvés, qu’on ne nous ferait plus de mal. Plus jamais. Ils ont apporté des couvertures et
à manger. Pourquoi aujourd’hui et pas hier ? Hier David est mort…
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J’ai repris un peu de poids. Un tout petit peu. Je me sens si seul sans ma famille. Pourquoi ne suis-je pas mort comme
les autres ? Que vais-je devenir ? On parle de moi dans mon dos, je le sais, je l’entends.
Je crois qu’ils savent.
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Ma cousine Sophie est venue me voir, elle m’a dit qu’apparemment mon frère Simon n’était pas mort au camp. Je suis
tellement content que notre famille n’ait pas été complètement décimée, que notre nom puisse se transmettre. Il vit avec une femme qu’il a rencontrée à l’hôpital et ils vont bientôt venir me
rendre visite.
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Cette nuit j’ai encore refait le même cauchemar. Nous sommes tous debout sur la place attendant depuis des heures sans
savoir pourquoi. Et le gros colonel arrive avec un prisonnier qu’ils ont battu presque à mort. L’allemand sort son pistolet pour lui tirer une balle dans la tête, devant nous, et je reconnais
alors David quand il lève les yeux. Je sais qu’il ne peut pas me voir mais moi je le vois. Et je comprends tout, le sourire narquois du Kapo quand il est passé à côté de moi … « Nooooon… » Et je
me réveille en criant.
Toujours le même cauchemar qui me poursuit...
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Ils m’ont changé d’hospice et m’ont envoyé en Bretagne où l’air est marin et vivifiant. Je ne grossis plus, j’ai même un
peu maigri. Je n’ai pas envie de me battre. Les autres sont déjà sortis de l’hôpital depuis un moment mais moi je ne guéris pas. Les médecins ne comprennent pas pourquoi.
Ils ne peuvent pas savoir.
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Une des jeunes filles qui s’occupe de nous a vu le numéro tatoué sur mon avant-bras en me lavant, elle m’a demandé ce
que c’était. Elle a pleuré quand je lui ai dit et un médecin s’est fâché après elle. Simon est venu avec sa femme, ils ont l’air heureux, elle est enceinte. Le bébé arrivera dans quelques
semaines au printemps 1948. Si c’est une fille elle s’appellera Sarah-Judith en souvenir de notre petite sœur et de notre mère. Si c'est un garçon, Nathan comme Abba. Je suis tellement content
pour lui.
Cela fait presque trois années que je ne suis pas sorti de mon lit d’hôpital.
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Sophie est venue me voir pour me dire au revoir. Nous avons maintenant un pays appelé Israël et elle part là-bas.
Quel avenir pour moi ? Elle m’a dit aussi que je suis l’oncle d’un petit garçon. Il est né le 14 mai 1948, comme notre pays et Simon a décidé de l’appeler Nathan-Israël. Je pense qu’ils partiront
aussi là-bas mais pas moi.
Je ne le mérite pas.
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David est revenu me voir dans mes rêves cette nuit. Mais ce n’était plus un de ces horribles cauchemars. Il m’a
dit que je ne pouvais pas savoir que le Kapo m’entendait quand je lui ai demandé de me donner un peu du pain qu’il avait volé, entrainant ainsi son arrestation et sa mort. Que je n’avais alors
que 13 ans et que la faim m'avait fait oublier toute prudence. Qu’il me pardonnait.
Il m’a dit qu’il voulait que j’aille en Israël, en Terre Promise, pour lui. Il m'a dit que je méritais d'être un Survivant.
Il m’a dit qu’il fallait que je guérisse parce que j’avais un avenir là-bas.