d'après LA CHAMBRE 11 de Maupassant
C’est dans l’armée que Mme Jeanson
Cueillait ses amants.
Elle les gardait trois ans,
Le temps de leur séjour en garnison.
Elle n’avait pas d’amour, elle avait des sens.
Dès qu’un nouveau régiment arrivait,
Elle prenait des renseignements
Sur les officiers de trente à quarante ans,
Car avant trente, on est parfois peu discret
Et après quarante, on faiblit souvent.
Après avoir distingué celui qui l’aimerait,
Elle donnait un bal. Elle invitait l’officier.
En valsant avec lui, elle le serrait…
Comme pour se donner.
(Les femmes devraient toujours user
De ce procédé
Pour nous annoncer
Leur besoin d’être aimée.
Cela éviterait perte de temps,
Paroles superfétatoires et compliments.
Mme Jeanson profitait
D’une tendre danse pour murmurer
À son cavalier :
-« Venez me retrouver
Mardi soir à neuf heures
À l’hôtel Les Trois-Sœurs.
Vous demanderez Mlle Cécile.
Je vous attendrai. Surtout, soyez en civil. »..
Depuis huit ans, en effet,
Elle louait à l’année,
Une nuit par semaine,
Le mardi, la chambre N° 11 des Trois-Sœurs
Voici le moyen parfait qu’elle employait :
Elle organisait en ville des réunions
De bienfaisance et de piété
Tous les mardis. Elle s’y rendait
Et…rapidement s’en absentait
Afin que son mari
N’ait aucun soupçon,
Elle lui annonçait au diner :
-« Ce soir, comme tous les mardis,
Je vais à l’Association. »
Et au dessert, elle le quittait.
Ensuite, elle empruntait
Une ruelle peu fréquentée.
Là, elle remplaçait
Son chapeau ou sa mantille
Par un bonnet blanc et nouait
À sa taille le tablier
Qu’elle avait caché dans son manchon..
Puis, elle enveloppait ses vêtements de ville
Dans un grand torchon
Et trottinait, guillerette, jusqu’à l’hôtel
Telle une bonne qui va faire une commission.
Qui donc aurait reconnu Mme Jeanson ?
Le patron des Trois-Sœurs, M. Darnel,
Eut été bien surpris
S’il avait appris
Que sa cliente était Mme Jeanson,
La femme du Premier Président Jeanson.
Voici comment un jour il sut la vérité :
La chambre 11 étant libre des mercredis
Aux lundis suivants
Darnel la louait aux clients
Qui avaient réservé
Pour l’une ou l’autre de ces nuits.
Tandis que le Premier Président
Était retenu à Paris jusqu’au jeudi
Mme Jeanson proposa à son amant :
-« Veux-tu me rejoindre aussi
Demain mercredi ici ?
Si tu arrives le premier, mon chéri,
Ne m’attends pas. Mets-toi au lit. »
Ils s’embrassèrent
Et se séparèrent.
Le lendemain, à midi, à l’hôtel les Trois-Sœurs,
Se présenta un voyageur.
Il se fit servir un copieux déjeuner
Très arrosé, prit un café,
Et un petit verre,
Ou plutôt trois verres.
Puis, se sentant barbouillé,
Il demanda à se reposer.
Ses autres chambres étant occupées,
Darnel lui a attribué
La chambre de Cécile. Mais à six heures,
N’ayant pas vu redescendre le voyageur,
Il monta en vitesse le réveiller.
Mais aussitôt, il redescendait, affolé :
-« Dis donc Léonore,
L’artiste de la chambre 11, il est mort ! »
Elle leva les bras :
-« Seigneur Dieu ! c’est-il le choléra ? »
-« Non, l’animal
A plutôt eu une congestion cérébrale,
Vu qu’il était noir comme la lie du vin. »
-« Va faire tes déclarations et ne parle point.
On l’emportera t’à la nuit pour ne pas être vus
..Et ni vu ni connu ! »
Or, comme convenu, à neuf heures,
Mme Jeanson pénétrait
Dans la chambre 11 des Trois-Sœurs.
Elle se dévêtit
Et comme son amant ne disait mot,
Et lui a demandé :
-« Dors-tu, mon gros ? »
Puis, elle courut au lit,
S’y glissa,
Et saisit à pleins bras
Le cadavre glacé.
En découvrant un visage inconnu.
Mme Jeanson frémit de la tête aux pieds
Elle poussa de terribles cris, et s’enfuit nue
Dans le couloir de l’hôtel tout en hurlant.
Un voisin, effaré, lui demanda :
-« Belle enfant,
Qu’est-ce qu’il y a ? »
Éperdue, elle balbutiait :
-« Dans…dans ma chambre…un macchabée ! »
Le commandant, son cher amant,
Gravissait l’escalier au même instant
Mme Jeanson se jeta sur lui en criant :
-« Sauvez-moi, Gontran,
Il y a un mort dans notre chambre, ici.
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Le capitaine de gendarmerie
Rendit très vite au couple sa liberté
Mais ne fut pas discret.
Le mois suivant,
M. le Premier Président Jeanson
Recevait un avancement…
…Et une nouvelle affectation.