Frédérique Bouet
Dans la galerie personnelle de l'artiste Frédérique Bouet une oeuvre traverse l'histoire des images : ces captations d'oiseaux, nous renvoient aux chrono-photographies d'Etienne-Jules Marey, signalant le statut incertain de ce que désignons sous des termes divers: photographie, peinture, cinématographe. Quel que soit le médium mis en œuvre, il s'agit toujours de définir notre rapport au réel. Quel réel ? Celui que nous inventons à travers notre vision pour le traduire avec ces outils créés par l'homme sans cesse à la poursuite d'un monde incompréhensible dans son origine comme dans son devenir. Cette œuvre introduit, me semble-t-il, le positionnement volontairement instable d'une photographe saisie par la peinture. "Tout est une question de frontière, affirme-t-elle. Déplacer les seuils. Se situer sur la frange, à la lisière, entre".
L'hypothèse du paysage
Frédérique Bouet a trouvé, dans la lumière et dans l'espace du littoral atlantique, la scène sur laquelle se joue cette relation énigmatique : faire de la photographie une peinture ou peut-être définir un médium intermédiaire mieux à même de nous soumettre ses hésitations sur la vision de ce réel.
Triptyque Frédérique Bouet 2014
Face à cette scène seulement limitée par notre capacité physique à l'embrasser, la photographe ne s'en tient pas au piège immédiat d'une représentation convenue. Elle dépouille sa vision pour tenter d'en extraire un essentiel qui n'est pas sans rappeler la démarche de peintres tels que James Guitet ou Geneviève Asse, eux-mêmes toujours à la recherche d'une lumière, d'un cadre, d'une structure. James Guitet expliquait : "C’est ce que j’appelle l’ image ouverte, l’ image qui accède à un principe universel." Geneviève Asse, dans sa maison de l’Île-aux-Moines ouvre avec chaque toile une fenêtre sur cette approche d'un paysage échappant aux repères stéréotypés.
Des pigments du peintre aux pixels du photographe, c'est la même énigme qui habite les artistes dans cette relation au paysage. Du "paysagisme abstrait" de James Guitet à la "photographie plasticienne" de Frédérique Bouet, nous sommes toujours face à cette quête de l'essentiel, face à cette recherche des éléments fondamentaux qui organisent la composition d'une image capable de nous donner une équivalence du réel plus juste que la pâle copie d'une figuration impuissante à saisir une vérité.
"Marine 1" 2005 Frédérique Bouet
Ce va-et-vient entre photographie et peinture occasionne parfois quelques rencontres à l'image de cette œuvre "Marine 1" de 2005 où l'hypothèse du paysage ramène à Mark Rothko. Si bien que la véritable spécificité du travail de Frédérique Bouet se joue dans la façon de cerner ce médium intermédiaire qui mobilise les outils du photographe pour prolonger la quête de ces peintres habités par la question sans cesse renouvelée de l'appréhension du réel.
En outre, cette scène du paysage offre aux réalisations de Frédérique Bouet un écran sur lequel se projettent les apports de la mémoire, du souvenir. C'est alors un paysage mental qui devient l'enjeu de cette œuvre en déséquilibre permanent. La démarche de la photographe plasticienne peut désormais déboucher sur ce paysage intérieur libéré des contraintes de la représentation.