Fraude fiscale et paradis fiscaux : état des lieux

Publié le 29 septembre 2014 par Marketingcommunity @marketing_cmnty

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Depuis la crise financière et l’annonce de mesures « phares » contre la fraude fiscale, où en est-on ? Les « mallettards » comme les appelle Éric Vernier ont-ils cessé leurs voyages vers des contrées qui n’offrent pas que soleil et mer chaude ? Dans son ouvrage Fraude fiscale et paradis fiscaux (Dunod, 2014), Eric Vernier met à plat les différents systèmes de fraudes et de blanchiment, les collusions entre finance et mafias, les systèmes de lutte anti fraude et les ONG qui tentent d’élever un contre-pouvoir à la fraude… Un panorama complet et éclairant, étayé de témoignages d’experts, à lire par tous ceux qui pâtissent de la fraude ou ont à la combattre et par toute personne désireuse de comprendre l’environnement économique et politique.
 
 

Est-ce que la fraude fiscale a « changé de visage » depuis la crise financière ?

La fraude fiscale n’a pas changé de visage depuis la crise financière, mais elle a quelque peu évolué. La nécessité pour les États de trouver de l’argent pour renflouer les caisses, les a poussés à durcir les mesures contre la fraude fiscale. Par ailleurs, la transposition de la troisième directive européenne relative à la lutte contre le blanchiment a eu pour conséquence de punir le délit de blanchiment de fraude fiscale. Cet arsenal, complété suite à l’affaire Cahuzac, a compliqué la tâche des fraudeurs. La Suisse n’est plus aussi sûre qu’auparavant, le Luxembourg cède petit à petit aux exigences internationales… du coup, les petits fraudeurs se retrouvent démunis, les plus gros partent sous d’autres cieux plus cléments tels que Singapour.
Le corollaire de la crise et de l’alourdissement de la charge de l’impôt se traduit cependant par une intensification de la fraude quotidienne, moins sophistiquée : travail au noir, chiffre d’affaires non déclaré. On trouve aussi à l’image d’Amazon, de Google ou d’Apple, l’ensemble des montages dits « d’optimisation fiscale » qui s’apparentent souvent plus à de l’évasion ou de la fraude.

Quels mécanismes entraînent une collusion entre fraude fiscale et mafia internationale ?

Le premier élément de collusion concerne la complexité des montages de grande fraude fiscale. Les mafias sont expertes dans les circuits financiers de blanchiment et peuvent donc aisément construire des mécanismes internationaux liés à l’évasion et à la fraude fiscales. Les mafias deviennent alors en quelque sorte des prestataires de service.
La deuxième possibilité implique encore plus les protagonistes. En effet, certains fraudeurs vont entrer directement dans les circuits de blanchiment d’argent noir issu par exemple du trafic de drogue. L’affaire Lamblin à Paris a mis au jour ce type d’interconnexion où la récupération de l’argent caché en Suisse permettait à des trafiquants internationaux de blanchir leurs propres capitaux illicites.
Enfin, impliquées dans certains conseils d’administration ou actionnaires de banque en Italie ou en Russie, les organisations criminelles transnationales vont transformer ces établissements financiers en véritables lessiveuses pour les États, les entreprises ou les particuliers indélicats.

Comment les États peuvent-ils agir contre cette fraude fiscale ?

Depuis fin 2013, début 2014, les États semblent réagir et mettent en place des mesures de contrôle et de coercition plus lourdes. L’accord FATCA par exemple, oblige les banques étrangères à envoyer aux États-Unis la liste de leurs clients américains. L’OCDE et l’Europe mettent en place des systèmes d’échange automatique d’informations à des fins fiscales entre les États. Les amendes, de plus en plus lourdes, tombent sur les banques soupçonnées de favoriser la fraude. UBS a dû verser le 22 septembre 2014 une caution de 1,1 milliard d’euros à la justice française pour une affaire dans laquelle elle est soupçonnée d’avoir favorisé et encouragé la fraude fiscale de ses clients français.
Mais il est encore trop tôt pour crier victoire. Le chemin est encore long et lorsque la crise budgétaire sera passée, les gouvernements risquent de revenir aux errements passés et au laxisme bienveillant. Les lobbies financiers sont en effet puissants. À titre d’exemple, la City à Londres représente près de 13 % du PIB total du pays. Les gouvernements auront du mal à aller beaucoup plus loin contre des établissements dont ils ont besoin et qui représentent de surcroît un nombre très important d’emplois.

Les ONG comme Finance Watch peuvent-elles jouer un rôle important dans cette lutte ?

Oui. Les ONG sont nécessaires et salutaires. Je crois profondément à l’action de la base citoyenne. L’écologie a émergé parce qu’il y avait une forte poussée de la population pour un environnement meilleur. La lutte contre la mafia à Naples est venue de la rue, pas du gouvernement de Berlusconi. La malbouffe et les lobbies agroalimentaires sont combattus par des citoyens responsables.
Les associations, à l’image de Transparency International, Ccfd-Terre Solidaire, Attac, Sherpa, Anticor, le site Paradis fiscaux et judiciaires… dont les interviews de leurs experts figurent dans mon livre, doivent donc jouer un rôle central dans la dénonciation des excès de la finance mondiale, sans tomber elles-mêmes dans la surenchère.
Elles permettent notamment de répertorier exhaustivement les véritables paradis fiscaux car les listes officielles sont souvent vides et ridicules. Mes conférences et interviews et celles de mes confrères complètent cette action de sensibilisation du plus grand nombre.
Le guide touristique des paradis fiscaux, le « Guide du Mallettard » que je présente à la fin de l’ouvrage, propose de voyager dans ce monde caché où se côtoient grandes entreprises, barons de la drogue, banques internationales et riches ménages.