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A brunch at Tiffany's

Publié le 22 mai 2008 par Dagobert
BRUNCH AT TIFFANY'S
Sur son badge, les droites lettres d'or écrivent : Porte-Parole des Saints du Dernier Jour.
Maude Vauclair finit, seule, sa matinée de prêche. Patrice Bayer, son binôme habituel, est malade.
La banlieue pavillonnaire qu'elle arpente, bonne parole à la bouche, porte la langueur des femmes au foyer et la fausse joie des barbecues d'arrières cours.
Ses coups de sonnette n'ont pas dérangé grand monde dans les maisons coquettes. Soit les habitants sont absents, soit ils font comme si.
La petite maison, au bout d'une courte allée bordée de glycine sera sa dernière, décide t-elle. Ensuite, elle rejoindra l'église du Dernier Jour pour un après-midi de jeûne et de prières. Le parfum sucré des fleurs mauves et or l'accompagne jusqu'à la porte.
Elle réajuste son badge, ses cheveux, sa mine avant de saisir un heurtoir à l'ancienne,représentant un lourd christ en croix. Maude y voit un bon signe. Une plaque, au dessus de la boîte aux lettres, annonce R. & T. Pulvis.
Elle attrape le crucifix de métal et le cogne plusieurs fois, avec une prudence de pucelle.
Des trottements l'informent qu'elle a été entendue. Maude se sent observée derrière la porte.
-N'ayez crainte !, claironne t-elle, sur un ton joyeux. Je viens vers vous avec une bonne nouvelle
-Vraiment, mademoiselle ?, fais la voix étouffée d'une femme.
- Oui et rassurez vous, je ne souhaite ni pour vous importuner, ni pour vous vendre quoique ce soit. Je m'appelle Maude Vauclair, et je viens vers vous, avec un message d'espoir.
Silence derrière la porte. Déconcertée, elle enchaîne :
- Qu'il est bon de se sentir aimé par Dieu chaque jour ! N'êtes vous pas d'accord ?
-Dieu est une aide dans ce monde si laid, répond la voix. Notre dévotion est un bien faible prix
pour les Grâces du seigneur.
- Je ne serais pas devant votre porte si je n'en étais pas pleinement convaincue. Voulez vous sortir, et que nous en parlions un moment ?
La porte cliquette de nombreuses fermetures, joue et s'ouvre sur une femme menue au nez allongé de rongeur. Son chignon, juché haut, accentue l'aspect pointu de son visage. Ses petits yeux noirs jaugent Maude, sans animosité mais sans crédit non plus. Elle a un léger signe de tête.
-Rebecca Pulvis.
Maude inspire un grand coup, et se lance :
-Dieu est grand ! Mais les jours de notre temps sont funestes pour des gens comme nous.N'êtes-
vous pas d'accord ?
-Dieu me bénit chaque jour et j'ai besoin de sa parole.
-Sa Parole Est, rebondit Maude. Par la voix des prophètes. J'ai rencontré un de ces prophètes. Il
m'a sauvée de l'errance. Et beaucoup d'autres comme moi.
Rebecca Pulvis quitte sa pose guindée et lointaine.
-Je prie beaucoup, vous savez, pour le salut du Monde et celui de mon âme.
-Alors, venez communier dans la joie, l'église du Dernier Jour vous ouvre un chemin vers la
lumière.
Rebecca Pulvis tripote une croix sur le plastron d'une robe grise.
-J'ai beaucoup souffert. J'ai fait beaucoup d'erreurs et j'en fais encore. Dieu me sauve chaque jour
et Il veille sur moi, et sur Tiffany, ma fille mais elle,...
Sa voix se brise et éclate en rancoeur retenue.
-C'est un fardeau, une pécheresse. Je n'ai pas assez de prières. Elle n'écoute rien. Elle vit là, à
mes crochets, siflle t-elle, désignant la maison. Je la nourris, je l'entretiens, je pourvois à tout pour son confort. Et, elle ne me donne que de l'amertume.
-Oubliez l'amertume, oubliez la solitude et la peur de demain. Les Saints du Dernier Jour vont
vous aider, et vont, aussi, bien sur, aider votre enfant.
-Elle n'a que moi, c'est le problème. Pour parler, pour se divertir. Oh, je la comprends, toutes mes
conversations de vieille chouette la rebutent, rit aigrement Rebecca. Elle ne met JAMAIS le nez dehors, c'est le problème. Elle n'arrive pas à se faire des amis.
Maude réfléchit un instant.
-Peut être que je suis cette amie qui manque à Tiffany ! Les membres de notre communauté lui
tendent leurs bras à travers les miens. Voulez-vous que je la rencontre pour partager avec elle la grâce de Dieu ?
Rebecca sursaute et porte une main gênée à sa bouche.
-Vous feriez ça ?
Bien sur.
Maude se pare de son plus beau sourire :
- Allons annoncer la bonne nouvelle à Tiffany !
La maison est envahie de bondieuseries. Des vierges pleurent l'or de tout les murs. Ça sent le propre, l'ordre et le silence. Dans la cuisine, une charmante peinture pastel épelle TIFFANY sur une porte de bois blanc.
-Sa chambre jouxte la cuisine ?, fais Maude, méfiante.
-Non, c'est sa salle de jeux... mais,c'est vrai qu'elle y passe plus de temps que dans son lit, pouffeRebecca, cognant à la porte.
-Ma chérie, j'ai une surprise pour toi... Quelqu'un est avec moi et elle souhaite te connaître.
Rien ne signifie qu'elle a été entendue, derrière la porte joliment peinte.
-Oui, Tiffany. Je m'appelle Maude Vauclair et je suis venue t'annoncer une bonne nouvelle qui
va changer ta vie. Puis-je entrer et parler un moment avec toi ?
D'autorité, elle fait jouer la porte. La surprise l'estomaque quand elle ne s'ouvre que sur la noirceur.
Une forte odeur rance et douceâtre assaille sa gorge.
Sa stupeur est un cri quand une brusque poussée la fait basculer dans la poix infecte.
Maude geint, écrasée par sa chute sur un sol de terre battue, deux mètres plus bas. Ses plaintes s'hystérisent de sanglots aigus.
-RebeccaAAAAAAAAAAA... Augh non ! Pourquoi ? Pas moiiiiiiiiiiiiiii ! Me laissez pas là,
pitié ! Oh non ! Qu'est ce que c'....
La cavité est jonchée d'objets confus. Une mallette vomit sa paperasse, le tube d'un aspirateur tel un viscère translucide s'entortille dans l'ombre. Sous sa main, elle découvre une casquette siglée Pizza Mama. Gorgée de sang.
Rebecca Pulvis est une monstrueuse ombre chinoise dans l'encadrement de la porte. Le visage qui s'y découpe est un museau moqueur.
-Dieu est aveugle, sourd et impuissant, jette Rebecca. Tu t'es égaré sur le mauvais chemin. Prie
pour que Tes Saints du Dernier Jour ne tardent pas trop à réclamer ton âme.
Elle marque une pause.
-J'espère que, cette fois, elle ne jouera pas trop avec sa nourriture. C'est si...cruel, lâche t-elle,
faussement contrite.
Maude éructe, la mort au ventre.
-Non, oh non ! Augh..Pitié ! Je vous donnerais tout, tout, tout...
-Tu ne crois pas si bien dire.
Maude ne sait plus que hurler.
L'ombre de Rebecca Pulvis se penche et s'allonge. Sa voix s'adoucit et sussure :
-Tiffaaaaaaaaany... Tiiiiiiffaaaaaaaaaany..... Tiiiiiffannyyyyyyyy... Eveille toi, ma dévorante. Le
brunch est servi.
FIN
Goûts (40)
05 mai 2008
1111 mots

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