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Changer

Publié le 29 septembre 2014 par Lespetitspapiersdefantomette

Je m’appelle Adhémar de Montjour et comme mon nom peut le laisser sous entendre, je suis issu de la noblesse française. S’il y a quelque chose de noble en moi, ce n’est certainement pas mon comportement. Dans la vie, j’ai toujours tout eu, et ce sans fournir le moindre effort.

Je suis l’unique héritier de mes parents, décédés trop tôt, comme c’est souvent le cas. Les gens riches ont au moins la chance de connaitre des morts exotiques. J’avais à peine 21 ans quand leur jet privé s’est écrasé en pleine mer. Le pilote traversant une période de dépression après s’être fait quitter par sa femme, il lui arrivait d’abuser un peu de la boisson. Ses problèmes ne me touchaient nullement jusqu’à ce jour tragique où l’inconscience prit le pas sur la prudence. Cela faisait des mois que je le voyais s’enfoncer chaque jour un peu plus dans le chagrin sans m’en préoccuper.

La culpabilité est un mal qui vous ronge de l’intérieur.

Je suis le plus grand égoïste que la terre ait jamais porté. Passée la douleur des premiers mois, je m’étais habitué à l’absence de mes parents et je profitais des avantages d’être bien né et d’avoir plus d’argent qu’il n’en faut pour vivre. Je menais une vie de débauche. Dès que le besoin s’en faisait sentir, je sortais dans un bar, et je n’avais qu’à piocher parmi toutes les filles qui affluaient autour de moi et cherchaient à s’attirer mes faveurs. En plus d’être riche, je crois pouvoir dire que la nature a plutôt été généreuse avec ma personne. Mon seul regret était de ne pas pouvoir me dédoubler pour pouvoir satisfaire toutes ces demoiselles en quête d’une nuit inoubliable en compagnie du très convoité Adhémar de Montjour. J’étais devenu le plus beau parti de toute la région, alors que je n’avais aucune intention d’être fidèle à une unique femme.

Il y a bien trop de fleurs en ce monde pour se contenter d’en butiner une seule.

Tout ça c’était avant, avant ma rencontre avec Margaut.

Quand je la vis pour la première fois, elle était assise dans mon bar favori. Elle s’était installée dans le coin le plus calme, ou plutôt celui où l’effervescence de ce lieu se faisait le moins sentir. Elle était seule et paraissait se désintéresser du monde extérieur, occupée qu’elle était à titiller sa paille du bout des dents. Elle avait cet air agacé qu’ont les personnes qui attendent quelqu’un qui ne viendra pas. Je la trouvais belle, elle irradiait d’une beauté naturelle, si rare de nos jours. J’étais habitué aux filles fardées à l’extrême, celles chez qui des sillons apparaissent sur le visage au fil de la journée, lorsque les multiples couches de fond de teint s’écoulent le long des rides d’expression. J’étais coutumier de ces poupées de pacotille qui dissimulent derrière le rouge de leur bouche et leurs clinquants colliers, un esprit d’un vide insondable.

Je me souviendrai toujours du moment où je me suis approché d’elle. Elle avait levé ses sourcils d’un air suspicieux. Je savais ce qu’elle pensait. Elle devait être habituée à se faire aborder par des gars comme moi. Je n’eus pas besoin de me présenter, tout le monde ici savait qui j’étais. Elle ne paraissait guère impressionnée de m’avoir à sa table, plutôt agacée en réalité. Elle connaissait ma réputation de coureur de jupons et ce n’était pas pour me servir. Elle aurait pu être une fille parmi tant d’autres, mais quelque chose en elle me captivait : peut être était-ce le fait qu’elle ne manifeste aucun intérêt pour ma personne ? Qu’elle soit mon parfait opposé ?

Loin d’être égoïste comme moi, elle vouait sa vie aux autres. Elle était médecin humanitaire et passait le plus clair de son temps à l’étranger, dans des pays touchés par la guerre, la famine… Les choses matérielles ne l’intéressaient que très peu, d’ailleurs, l’une de ses premières phrases à mon égard fut de me reprocher mon côté matérialiste. J’avais honte, honte de moi, de cette personne que j’étais devenue au fil des années. Honte de cet égoïsme inhérent à ma personnalité. J’étouffais dans cette vie qui n’avait pas de sens, et je venais juste de m’en apercevoir.

Ce soir là, après avoir tenté en vain d’obtenir le numéro de Margaut, je rentrai chez moi, rempli de lassitude. Je ne parvins pas à trouver le sommeil. Je m’agitais dans mon lit, mes draps se torsadaient au fil de mes tours sur moi-même. J’avais le sentiment inexplicable et surtout ridicule d’avoir laissé passer ma chance, d’avoir laissé partir cette fille, celle après qui nous courons tous sans jamais pouvoir l’atteindre. Il me fallait la retrouver, mais avant cela, il allait me falloir changer.

Jamais Margaut n’accepterai le nombriliste que j’étais.

J’en étais là de mes réflexions quand j’entendis un bruit de pas en provenance du séjour. Je vivais seul, ce bruit ne pouvait signifier qu’une chose : quelqu’un s’était introduit chez moi. Je sortis de mon lit en silence, et dans un élan d’inconscience me dirigeai vers le séjour à pas feutrés. Il y avait bien quelqu’un ; un homme, fort occupé à remplir un sac de sport à l’aide des diverses statuettes et chandeliers en argent qui peuplaient cette pièce. Il ne m’avait ni vu ni entendu : je me glissai alors derrière lui et le saisis par la gorge pour finalement le plaquer au sol. Aussitôt il se mit à m’implorer de ne pas lui faire de mal. Il était jeune, aussi jeune que moi.

Je ne sais comment il réussit à me convaincre de le libérer de ma prise, mais quelques instants plus tard, nous étions tous deux assis par terre face à face, et je l’écoutais me raconter sa triste histoire.

Ses parents l’avaient jeté à la rue alors qu’il n’avait que 17 ans, le jour où il avait enfin trouvé le courage de leur avouer son homosexualité. Il avait d’abord erré de foyer en foyer, avant de se retrouver seul dans la rue, sans amis ni famille. Il s’était alors résolu à fouiller les poubelles pour se nourrir. Il avait fait de mauvaises rencontres. Il avait parfois vendu son corps pour quelques billets. La situation dans laquelle il se trouvait était rapidement devenue inextricable. Sur ses poignets, des balafres attestaient de ses multiples appels à l’aide. Appels que personne n’avait entendus. Quand il eut finir de parler, mon visage était inondé de larmes. Je ressentais la souffrance de cet homme si fortement qu’on aurait pu croire qu’elle était mienne. Le silence s’abattit entre nous deux. Pendant de longues minutes, il fut simplement ponctué par nos sanglots étouffés. Notre peine commune battait la mesure de cette triste mélodie. Lui et moi étions unis par le sel de nos larmes. Enfin, je me mis à parler :

« – Tu as un passeport ?

- Quoi ?

- Est-ce que tu as un passeport ?

- Oui mais… »

Il me fallut un mois entier pour tout organiser. Romain, c’était son nom, me ressemblait suffisamment pour qu’un inconnu me prenne pour lui à la seule vue de mes papiers d’identité. Je lui appris ma vie, et il me détailla la sienne.

Je n’en pouvais plus de cette prison dorée dans laquelle je vivais depuis toujours. J’avais décidé de changer. Je n’avais qu’un seul souhait, retrouver Margaut. Il ne m’avait pas été difficile de retrouver sa trace sur internet. Elle était en mission en Afrique. Je m’engageai en tant que bénévole et m’envolai vers elle.

Adhémar était derrière moi.

J’avais tout laissé à Romain, jusqu’à mes souvenirs. Désormais ce serait lui qui vivrait ma vie. Je nous avais donné à tous les deux une nouvelle chance, un nouveau départ. Seul l’avenir nous dira si ce dernier aura été bénéfique…

Fantômette

Cet article a été écrit dans le cadre de l’atelier des jolies plumes. Le sujet du mois était le suivant :

Parfois notre vie ne correspond plus à ce que l’on espère. C’est souvent dans ces moments que naît l’envie d’ailleurs. Mais vers quel ailleurs se rêve votre personnage et… franchira-t-il le pas ?

Si vous êtes intéressés par cet atelier et souhaitez nous rejoindre vous pouvez contacter Fabienne et Céline à l’adresse suivante : [email protected]



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