d'après LA CONFESSION (1884 b) de Maupassant
Tout Véziers-le-Réthel avait assisté
À l’enterrement de M. Radet.
C’était un honnête homme, M. Radet.
Il laissait un fils, conseiller général
Et une fille mariée
À un notaire, M. de Bonal
Qui tenait le haut du pavé dans Véziers.
Sitôt la cérémonie terminée,
Les enfants du défunt sont rentrés tristement.
M. Bonal ouvrit le testament
Et lut : ’’Mes enfants,
Mes chers enfants,
Je dois vous confesser un crime
Dont le remords a déchiré ma vie.
Oui, j’ai commis un crime,
Un crime infâmant.
J’avais alors vingt-six ans
Et je débutais au Barreau de Paris.
Je pris une maîtresse.
( Que de gens s’indignent à ce mot ‘maîtresse’ ! )
Pendant un an, j’ai vécu avec cette fille
Assez heureux et tranquille.
Mais au fond j’étais bien décidé
À la quitter si je trouvais
La femme qui me plairait
Suffisamment pour l’épouser.
Mais un jour, voilà
Que ma maîtresse m’annonça
Qu’elle attendait un enfant.
J’eus l’esprit si bouleversé
Par cette nouvelle,
Qu’un désir confus mais criminel
Rôda au fond de ma pensée.
Le bébé naquit
Mais un mois après… j’ai fui
J’en avais assez de l’entendre crier.
Il criait quand on le changeait,
Quand on le lavait, quand on le touchait,
Quand on le couchait, quand on le levait…
C’est alors que, chez des amis, j’ai rencontré
Celle qui allait devenir votre mère.
Mais devant moi, un piège s’ouvrait :
Malgré mon fils, devais-je l’épouser
Ou bien lui dire la vérité ?
Que faire ?
Il fallait que ce bébé
Ne compte plus dans ma vie.
Or, peu après, la mère de mon fils décédait.
J’ai dû m’occuper seul du bébé.
En moi, une terrible colère a grandi,
Une colère qui touchait à la folie…
Un soir de janvier,
Alors que le bébé dormait,
J’ai ouvert la fenêtre. L’air glacé
Entra dans sa chambre, tel un assassin.
Je ne pensais
Plus à rien.
Tout à coup,
J’entendis une petite toux…
Le petit s’éveilla au matin
La gorge embarrassée.
Toute la journée,
Il resta fébrile et assoupi.
Je fis venir le médecin…
Une fluxion de poitrine eut raison de lui.
Il mourut six jours après.’’
Cette lecture étant achevée,
Le notaire dit :
-« Il faut détruire ce manuscrit. »
Il jeta le testament dans la cheminée.
Les héritiers regardèrent les feuillets
Se consumer jusqu’à la fin
Comme s’ils eussent craint
Que ce secret puisse être lu
Par un éventuel inconnu.