Cette exposition, j'ai eu envie d'aller la voir dès le premier indice visuel (sur mon écran, sur un carton d'invitation, je ne sais plus). Des images baroques et colorées, avec plein de choses à regarder, du portrait, de l'intime à reluquer... j'adhère d'emblée.
Sur place, dans la galerie La Chambre, je ne suis pas déçue : les tirages sont en grand format comme il se doit pour des images aussi chargées, et accrochés selon les trois séries représentées, respectivement réalisées en France, en Italie et au Mexique.
Grand Miroir, Intérieurs avec Figures, 2007 © Aurore Valade
Dans la première salle, Intérieurs avec Figures montre des binômes de personnages féminins, que l'on imagine mère et fille, hormis quelques exceptions avec "mère et chien". Elles posent dans leurs appartements, et je m'efforce de déceler en quoi consiste et d'où vient cette attitude commune qu'on leur trouve... Entre fierté et mélancolie, elles sont entourées d'une foule d'objets, décoratifs ou triviaux, qui semblent disposés là comme les attributs de leurs personnalités. Souvent, l'un des personnages regarde dans le vague ou est concentré sur une activité, tandis que l'autre regarde le spectateur, rappelant en cela les scènes d'intérieur de Vermeer. On a l'impression de faire irruption dans un moment privé, qui n'a pas vocation à être montré (la toilette du chien, le brushing…), mais pourtant tout est étudié au millimètre. La conjugaison des apparences physiques, de la décoration de la pièce et des objets triviaux et usuels qui traînent sans aucun hasard construit dans l'esprit du spectateur un portrait. Portrait que l'on enrichit sans même y penser d'informations géographiques, culturelles et sociales. L'artiste joue avec les clichés : on aura tendance à penser que ces reproductions de peintures bon marché, ce couvre-lit en polyester ou ces affaires rangées dans des sacs plastique dénotent d'une condition modeste... oui, mais qui sommes-nous pour juger ? À quoi ressemblerait notre intérieur ainsi portraituré ? L’œil de l'appareil soumet à celui du spectateur une vision impitoyable, qui fait ressortir les objets accumulés au fil des ans qu'on ne voit plus, les couleurs et les motifs dépareillés. L'intérieur du logement est dépassé dans son aspiration à la beauté par la vie, simplement, qui laisse ses traces et rassemble tout ce qui en fait aussi un nid, un refuge, un endroit où se ressourcer le corps et l'esprit.
Chaque photo apporte le même soin à la mise en valeur des personnages, usant des ficelles de la peinture : des miroirs reflètent des animaux hors-champ, la lumière est très travaillée, souvent artificielle et tamisée. Aurore Valade retouche ses photos avec minutie, pour changer la couleur d'un élément, en déplacer un autre… c'est ainsi qu'elle obtient ces compositions parfaites, où les images dans les cadres répondent à l'image de leurs propriétaires dans une mise en abyme, où l'harmonie chromatique n'est brisée que pour attirer l’œil sur un détail. Par ce processus, elle se rapproche encore de la peinture, en donnant la priorité à la construction de l'image. C'est de la photo, mais qui s'inscrit dans une démarche proche des portraitistes anciens : A. Valade se donne le temps de rencontrer la personne (recrutée par annonce), de s'imprégner de son intérieur, puis d'en choisir avec elle des éléments représentatifs qui seront soigneusement agencés. Mais contrairement aux peintres des siècles passés, elle s'intéresse à toutes les origines sociales, et en conçoit des images qui semblent faites pour la postérité. La mise en scène n'enlève rien au réalisme de la photo : elle résume une personnalité en compilant ses signes marquants, tout comme les souvenirs sont épinglés dans notre mémoire avec des couleurs parfois un peu trop vives, des descriptions non exhaustives.
Il gusto dei principi, Ritratti Torino, Turin, 2010 © Aurore Valade
La série Ritratti Torino présente une élégance toute... italienne. On ne connaît pas les termes de l'annonce à laquelle ont répondu les participants, mais presque tous les appartements contiennent des objets d'art, des supports de connaissances (livres, journaux, ordinateurs, télévisions), et offrent une belle vue sur l'extérieur. L'artiste a disposé derrière chaque figurant, qui pose de profil, une toile blanche qui isole la silhouette et l'illumine. La référence est évidente : les peintres de la Renaissance italienne faisaient souvent poser leur modèles de profil, devant une fenêtre, avec une fuite de perspective atmosphérique qui s'enfonçait dans l'espace du tableau. L’œil se promène dans les multiples dimensions de la scène, renvoyé de reflet en paysage, de texte en image. La dichotomie intérieur/extérieur est reprise avec les moyens d'informations abondants : les écrans sont allumés, les titres des journaux bien lisibles, mais le personnage semble détaché de cette actualité, d'autant plus que son portrait sur fond blanc est dénudé (les vêtements sont baissés sous les épaules). Son profil nu est atemporel, comme un buste de bronze faisant partie d'une nature morte.
Como agua para chocolate, Intérieurs mexicains, 2014 ©Aurore Valade
Enfin, les trois photos de la dernière série contrastent avec la précédente, même si elles découlent d'une démarche identique. Ici, c'est l'art populaire mexicain qui ressort dans les compositions hyper-colorées. La vie éclate, le personnage est intégré dans une cathédrale de bric-à-brac dont le foisonnement écrase l'espace : cette fois, on a l'impression d'un espace réduit, d'une broderie tapageuse en deux dimensions, d'un autel chatoyant. Ici aussi, le cliché s'impose, avec ses masques de luchadores, ses jupes à froufrous et son imagerie exotique. Mais, si telle était la volonté du photographié, alors c'est une précieuse image, qui montre au passage que les clichés prennent racine dans le réel, et qui surtout rend un hommage sensible et respectueux à son sujet.
Catherine.
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La Chambre – 4 place d’Austerlitz, Strasbourg
Mercredi > dimanche, 14h – 19h
www.la-chambre.org
www.aurore-valade.com