La chimie des trajectoires de Laurent Quintreau 2,5/5 (30-08-2014)
La chimie des trajectoires (236 pages) est sorti le 27 août 2014 aux Editions Rivages.
L’histoire (éditeur) :
En trente-sept jours, trente-trois chapitres et en un chassé-croisé fascinant et ludique, une mouche traverse les différents états moléculaires du genre humain, de la naissance à la mort. Dans ses pérégrinations, sa trajectoire s'entrecroisera avec celle d'un étudiant schizophrène et sa famille, d'une boxeuse à la recherche de l'amour, d'une actrice sur le retour, et toute une galerie de personnages qui nous plongeront dans les constituants les plus élémentaires de la matière et de nos vies. Autant d'univers qui se sédimentent, s'entrechoquent, se fissurent jusqu'au drame final. La Chimie des trajectoires est le troisième roman de Laurent Quintreau.
Mon avis :
La chimie des trajectoires propose de voyager sur les ailes d’une mouche et de découvrir ainsi nos semblables à travers une galerie de personnages divers mais tous terriblement seuls !
De ce soir de mai où la petite mouche prend son envol jusqu’à son trente-troisième jour, le lecteur observe, dans une succession de scènes, l’intimité de ce microcosme (le nôtre) situé à Paris, dans un immeuble haussmannien et de ses alentours proches. D’étage en étage, de pièce en pièce elle devient le témoin de scènes du quotidien ordinaires qui virent parfois au tragique. Le lecteur, grâce à ses aller retours fréquents voit évoluer les mêmes personnages et de nouvelles fenêtres ouvertes permettent d’en découvrir de nouveaux, tous plus ou moins reliés entre eux.
C’est original (peut-être pas le premier roman du genre, mais je n’ai pas cherché à répondre à cette question) mais avec quelques bémol tout de même : de rare de dialogues (et moi, j’aime les dialogues !), un attachement aux personnages incertain et délicat. Malgré tout La chimie des trajectoires n’est pas inintéressant. Il s’agit plus d’une simple contemplation de l’espèce humaine à travers quelques-uns de nos semblables. De l’actrice en déclin, vieillissante et portée sur la bouteille, de l’adolescent schizophrène, de son père qui a subi un double échec (un sacrifice moral pour un poste qu’il n’a jamais obtenu) et qui drague en secret par SMS sur des numéro surtaxés, de sa mère qui calque la gestion de la société qu’elle dirige sur celle de sa vie privée, de la boxeuse de 28 ans à la recherche de l'amour (qui pour s’entraîner et pulser l’adrénaline repense aux tueurs et violeurs en série), de la jeune mère, cadre sup désespéré et à bout, de la doyenne de l’immeuble qui depuis la mort de son mari vit mécaniquement les geste du quotidien, d’une institutrice, d’un coach en sale posture…
On a presque à faire à une étude scientifique (« Température, 21 degrés centigrades. Hygrométrie, 74 pour cent. Ensoleillement, déclinant. Biocénose, zoocénose, riche en micro-organismes. Humidité résiduelle liée à une fuite récente dans les canalisations. Présence d’un mammifère velu. Altitude, 61 mètres. » Page 22). Une étude qui finit sur un bien triste constat : notre société se porte bien mal. Cette galerie hétéroclite revoit l'image médiocre et décadente de notre monde actuel. Une société où règnent la solitude, la violence, l’individualisme et l’incertitude (où en plus le profit, l'administration et la politique pourries bouffent l'humain).
« Il dit alors
Ecouter ce que cette pette mouche a à nous dire
Et commence par décrire les premières scènes du film d’horreur que chacun ne peut s’empêcher de visionner, fort de ses cent milliards de neurones, il raconte, vous vaquez tranquillement à vos occupations, chez vous ou au bureau, lorsque vous vous trouvez soudainement piégé, ligoté saucissonné par un monstre velu qui va vous dévorer par le nombril en vous traînant dans une grotte jonchée de cadavres, il dit, ce film d’horreur est une pure fiction pour cette petite mouche, pas même une fiction, un néant, aussi inexistant pour elle que le progrès des sciences et des techniques, les cycles économiques, les ruses du marketing, les créations du design ou les dernières tendances du prêt-à-porter (…), il dit, lorsque les hommes auront disparu elle sera encore là (…), elle est ce qu’il restera du monde quand il n’en restera rien , mémoire, équilibre, justice, cohérence, oui, dit-il, n’importe laquelle de ces minuscules bestioles réalise sans le savoir un audit de notre humanité, nous qui sommes des agrégats de flux de matière en devenir des agrégats d’univers qui s’épuisent en sédimentations, en cristallisations, en turbulences et en érosions (…), rien plus qu’une légère modification de son paysage, pas plus importante que ne l’est pour nous l’étouffement d’une jungle sous une autoroute ou la disparition d’une galaxie. » Pages 233-234