Toujours à l’occasion du deuxième Festival du Cinéma Russe à Nice, nous continuons notre voyage dans le cinéma russe, cette fois-ci au côté de Vladimir Menchov, l’un des rares réalisateurs soviétiques récompensé par un oscar outre-pacifique (pour Moscou ne croit pas aux larmes). Amour et pigeons, réalisé en 1984, est aujourd’hui considéré comme l’une des comédies les plus appréciées des Russes. Malgré une carrière tournée davantage vers son métier d’acteur (seulement cinq réalisations), Menchov reste l’un des réalisateurs russes les plus talentueux.
En Sibérie, dans un petit village agricole,Vassia (Aleksandr Mikhailov) est un homme simple qui a pour principal loisir de s’occuper d’une volière de pigeons au grand dam de sa femme, Nadia (Nina Dorochina). Victime d’un accident du travail, il obtient un bon de séjour pour se faire soigner au bord de la mer noire. Il rencontre une femme, Raïssa (Lioudmila Gourtchenko) qui travaille dans la même entreprise que lui mais qu’il n’avait jamais remarqué. Lors d’une soirée bien arrosé, il commet l’irréparable.
Vassia (Aleksandr Mikhailov) et Olia (Lada Sizonenko)
Fil conducteur de sa filmographie, Menchov s’attache d’abord à décrire un mode de vie. Dans chaque plan, des moments de vie campagnarde typiques sont mis en scène. On va chercher l’eau pour remplir le réservoir, on danse sur la place du village accompagné par une fanfare. Les femmes et les hommes sont vêtus traditionnellement. Et parfois, Menchov force le trait, les femmes sont hystériques, les hommes sont menteurs et alcooliques. C’est à partir de ces exagérations que Menchov tire parti de situations banales pour faire surgir de véritables perles comiques. Vassia est certainement le seul homme du village à ne pas boire. Choura (Natalia Teniakova), la voisine plus âgée répète à tort et à travers à Nadia que les pigeons de son mari sont un moindre mal. Elle en sait quelque chose, son poivrot de mari, Mitia (Sergueï Yourski) est la source de bien des méprises. A plusieurs reprises, il raconte des salades pour avoir un coup à boire allant jusqu’à simuler la mort de sa femme. À chaque fois, c’est un drame. Et après chaque incursion dramatique, la scène se termine par une course-poursuite entre le fautif et les femmes de la maisonnée qui le pourchassent avec des pelles. Le tout prend un air très « Benny Hill ». Mitia s’en sort systématiquement en les perdants dans les farandoles sur la place du village. Le côté loufoque de la situation est assumé jusqu’au bout. Sautant d’une rambarde, on le retrouve par magie de l’autre côté du fleuve.
Mitia (Sergueï Yourski) et Vassia (Aleksandr Mikhailov)
Comédie, Amour et pigeons est aussi une romance. N’ayant jamais quitté sa Sibérie et son lopin de terre, Vassia est totalement dépaysé dans la station balnéaire où il reprend des forces. Lorsqu’il fait la rencontre de Raïssa qui travaille aux ressources humaines, il côtoie un monde qui n’est pas le sien et l’attire. Totalement complotiste, attirée par les sciences occultes, Raïssa est une femme totalement timbrée que le côté gentil de Vassia séduit. Autoritaire, elle force Vassia à rester avec elle et veut s’occuper de régler son divorce. L’intérieur de l’appartement de Raïssa avec le portrait de son père qui était dans la cavalerie, les sabres aux murs, l’immonde tableau où son portrait apparaît dans une ampoule et l’énorme cactus qui orne sa table à manger finit de faire passer le scénario dans le grand n’importe quoi. Vassia, servant le repas, ne cesse de se prendre le cactus dans la face et ne voit Raïssa qu’à travers la cactée. Il prend conscience que sa femme, ses enfants… et ses pigeons lui manque.
Raïssa (Lioudmila Gourtchenko) et Vassia (Aleksandr Mikhailov)
Après la trahison de Vassia, il n’est pas attendu les bras ouverts chez lui. Son fils veut le tuer et saisit la hache. Un grand moment. Quant à Nadia, elle ne veut plus en entendre parler. Pendant quelque temps, il va vivre au bord de la rivière sur la carcasse d’un bateau échoué, métaphore poétique de son couple. Dans ce décor surréaliste, un matin, Nadia se décide à le rejoindre. Lui, se confond de remords, avoue n’avoir jamais réfléchi au manque que provoquerait la perte de Nadia, et elle, avoue qu’elle a le cœur serré en trouvant la maison vide chaque soir. Par peur du qu’en-dira-t-on, les deux amants se retrouvent rendez-vous polisson après rendez-vous polisson sans que Vassia ne réintègre le foyer. L’épreuve de la rupture leur a permis de retrouver leur vingt ans. À tel point que Nadia tombe enceinte malgré ses cinquante ans. Le couple n’a d’autre choix que d’officialiser la grossesse et Vassia rentre à la maison. Le couple nage dans le bonheur. D’autant plus que le fils ainé se réconcilie avec son père avant d’aller faire son service militaire dans les gardes-frontières, vraisemblablement un honneur pour la famille. Une fanfare militaire apparaît comme par magie pour célébrer cette happy-end.
Vassia (Aleksandr Mikhailov) et Nadia (Nina Dorochina)
Si vous en avez l’occasion, Amour et pigeon sera l’occasion de se familiariser avec la vie quotidienne sous l’Union Soviétique, le film étant émaillé de scène de la vie courante. Mais il faut surtout le voir pour saisir l’humour russe, même si, avouons-le, nous ne saisirons pas tout.
Boeringer Rémy