Oh ! la coquine !

Publié le 28 septembre 2014 par Dubruel

d'après JOSEPH de Maupassanr

Elles étaient grises, tout à fait grises,

La petite baronne Andrée de Trévise

Et la petite comtesse de Gardette.

Après avoir diné en tête à tête

Ces femmes dégustaient une vieille fine,

En se faisant des confidences intimes.

Pour éviter les rôdeurs galants

Des stations huppées,

Leurs maris avaient volontairement

Loué une maison isolée

Dans le Poitou,

Loin de tout

Et y avaient enterré

Leurs femmes pour tout l’été.

La baronne et la comtesse bavardaient

Et déraisonnaient,

Ne sachant plus ce qu’elles disaient :

-« Moi, je ne peux vivre sans être aimée.

Il me faut un amant pour finir cette soirée !

Je me crois morte si je ne suis pas aimée. »

-« Les hommes ne nous comprennent pas du tout. »

-« Nos maris, surtout ! »

-« L’amour qu’il nous faut est fait de gâteries,

De gentillesses, de galanteries. »

-« Il faut que j’ai quelqu’un qui pense à moi,

Que je sache qu’on m’aime, qu’on rêve de moi. »

-« Tu vois, quand un mari

A été gentil

Pendant six mois, un an,

Ou deux ans,

Par la suite, il devient forcément une brute. »

-« Ha oui ! Tu as raison, une vraie brute ! »

-« Il ne se gêne plus pour rien.

Il se montre tel qu’il est. C’est rarement en bien.»

-« On ne peut pas aimer son mari

Durand toute une vie. »

-« Ça, c’est vrai. »

-« Tu disais que ce sont des brutes, les maris.

Et après ?... » -« Quel après ? »

-« Qu’est-ce que tu disais ‘après’ ?

« J’avais une chose à te raconter…

Ah ! Oui, j’y suis…

Moi, je trouve des amoureux

Partout. Je m’informe et je fais mon choix. »

-« Tu fais ton choix ? »

-« Mais oui, parbleu !

Avant tout, il faut qu’un homme

Soit riche, généreux, discret,

Et qu’il me plaise comme homme. »

-« Oui, c’est vrai. »

-« Alors, si c’est le cas, je l’amorce. »

-« Tu l’amorces ? »

-« Oui, comme on fait

Pour prendre du poisson.

Toi, n’as-tu jamais pêché ? »

-« Non. »

-« Tu as tort. C’est très amusant. »

-« Comment fais-tu à partir de ce moment-là ? »

-« Que tu es bête, va !

Hé bien, tu leur laisses croire qu’ils ont le choix.

Ils croient choisir, mais c’est nous qui choisissons

Tous les hommes sont des prétendants,

Tous sans exception.

Quand nous avons fait notre choix,

Nous l’amorçons. »

-« Comment fais-tu donc ? »

-« Comment je fais ?...

Mais je ne fais rien. Je me laisse regarder.

Quand on s’est bien laissé regarder,

L’homme vous trouve toujours la plus jolie.

Il commence alors à vous courtiser.

Je lui laisse comprendre qu’il me plait.

Je le tiens et lui, il est séduit.

Ça dure plus ou moins, selon ses qualités. »

-« Les hommes, tu arrives à les prendre tous ? »

-« Oui, presque tous. »

-« Il y en a qui résistent ? » -« Quelquefois. »

-« Pourquoi ? »

-« Parce qu’ils sont amoureux d’une autre femme

Ou trop timides, ou incapables de mener

Jusqu’au bout la conquête d’une femme. »

-« Quels benêts ! »

-« Oui, écoute-moi,

Il y a plus d’hommes qu’on ne croit

Mais beaucoup ne savent ni vous déshabiller

Ni par où commencer.

Parmi les plus adroits, les plus ingénieux

Ce sont les amoureux

Des autres femmes que je préfère.

Ceux-là, je les enlève d’assaut, ma chère ! »

-« Et quand il n’y a aucun homme, comme ici ? »

-« Tiens, tu me rappelles ceci :

Une année

Mon mari m’a fait passer tout l’été

Dans sa terre de Vaugiens.

Mais là, pas un homme. Personne. Rien,

Tu entends, rien de rien,

Rien, rrien !

Alors, j’ai engagé

Un jeune maître d’hôtel. » -« Oh !...et après ?... »

-« Je ne l’ai pas amorcé,

Je l’ai allumé !

Oui, ça m’amusait.

Chaque matin, je le sonnais

Au moment où ma bonne m’habillait

Et chaque soir quand elle me déshabillait.

Comme un toit de paille, il a flambé !

Ce garçon s’appelait

Joseph, et je le tutoyais.

Il était dans un état…effrayant !

Moi, je m’amusais énormément.

Ce fut un de mes meilleurs étés… »

-« Et après ? »

-« Je lui ai dit un jour d’atteler mon panier

Pour me conduire dans la forêt.

Il faisait plus de trente degrés.

J’allais me trouver mal !

…Et je lui ai dit que je me trouvais mal,

Qu’il devait me porter sur l’herbe.

Puis quand j’ai été sur l’herbe,

J’ai suffoqué. Je lui ai dit de me délacer.

Quand j’ai été délacée…

J’ai perdu connaissance. » -« Tout à fait ? »

-« Oh, non ! Pas du tout. » -« Eh bien ? »

-« Eh bien…

Je suis restée …

Inconsciente.

Pendant que Joseph cherchait

En vain de l’aide

Ou un quelconque remède,

J’ai été patiente.

Puis il est revenu…Et je n’ai

Rouvert les yeux qu’après sa chute. »

-« Et que lui as-tu dit ? » -« Chut !… »

-« Après ça, tu as osé le garder ? »

« Mais oui, pourquoi l’aurais-je renvoyé ? »