d'après JOSEPH de Maupassanr
Elles étaient grises, tout à fait grises,
La petite baronne Andrée de Trévise
Et la petite comtesse de Gardette.
Après avoir diné en tête à tête
Ces femmes dégustaient une vieille fine,
En se faisant des confidences intimes.
Pour éviter les rôdeurs galants
Des stations huppées,
Leurs maris avaient volontairement
Loué une maison isolée
Dans le Poitou,
Loin de tout
Et y avaient enterré
Leurs femmes pour tout l’été.
La baronne et la comtesse bavardaient
Et déraisonnaient,
Ne sachant plus ce qu’elles disaient :
-« Moi, je ne peux vivre sans être aimée.
Il me faut un amant pour finir cette soirée !
Je me crois morte si je ne suis pas aimée. »
-« Les hommes ne nous comprennent pas du tout. »
-« Nos maris, surtout ! »
-« L’amour qu’il nous faut est fait de gâteries,
De gentillesses, de galanteries. »
-« Il faut que j’ai quelqu’un qui pense à moi,
Que je sache qu’on m’aime, qu’on rêve de moi. »
-« Tu vois, quand un mari
A été gentil
Pendant six mois, un an,
Ou deux ans,
Par la suite, il devient forcément une brute. »
-« Ha oui ! Tu as raison, une vraie brute ! »
-« Il ne se gêne plus pour rien.
Il se montre tel qu’il est. C’est rarement en bien.»
-« On ne peut pas aimer son mari
Durand toute une vie. »
-« Ça, c’est vrai. »
-« Tu disais que ce sont des brutes, les maris.
Et après ?... » -« Quel après ? »
-« Qu’est-ce que tu disais ‘après’ ?
« J’avais une chose à te raconter…
Ah ! Oui, j’y suis…
Moi, je trouve des amoureux
Partout. Je m’informe et je fais mon choix. »
-« Tu fais ton choix ? »
-« Mais oui, parbleu !
Avant tout, il faut qu’un homme
Soit riche, généreux, discret,
Et qu’il me plaise comme homme. »
-« Oui, c’est vrai. »
-« Alors, si c’est le cas, je l’amorce. »
-« Tu l’amorces ? »
-« Oui, comme on fait
Pour prendre du poisson.
Toi, n’as-tu jamais pêché ? »
-« Non. »
-« Tu as tort. C’est très amusant. »
-« Comment fais-tu à partir de ce moment-là ? »
-« Que tu es bête, va !
Hé bien, tu leur laisses croire qu’ils ont le choix.
Ils croient choisir, mais c’est nous qui choisissons
Tous les hommes sont des prétendants,
Tous sans exception.
Quand nous avons fait notre choix,
Nous l’amorçons. »
-« Comment fais-tu donc ? »
-« Comment je fais ?...
Mais je ne fais rien. Je me laisse regarder.
Quand on s’est bien laissé regarder,
L’homme vous trouve toujours la plus jolie.
Il commence alors à vous courtiser.
Je lui laisse comprendre qu’il me plait.
Je le tiens et lui, il est séduit.
Ça dure plus ou moins, selon ses qualités. »
-« Les hommes, tu arrives à les prendre tous ? »
-« Oui, presque tous. »
-« Il y en a qui résistent ? » -« Quelquefois. »
-« Pourquoi ? »
-« Parce qu’ils sont amoureux d’une autre femme
Ou trop timides, ou incapables de mener
Jusqu’au bout la conquête d’une femme. »
-« Quels benêts ! »
-« Oui, écoute-moi,
Il y a plus d’hommes qu’on ne croit
Mais beaucoup ne savent ni vous déshabiller
Ni par où commencer.
Parmi les plus adroits, les plus ingénieux
Ce sont les amoureux
Des autres femmes que je préfère.
Ceux-là, je les enlève d’assaut, ma chère ! »
-« Et quand il n’y a aucun homme, comme ici ? »
-« Tiens, tu me rappelles ceci :
Une année
Mon mari m’a fait passer tout l’été
Dans sa terre de Vaugiens.
Mais là, pas un homme. Personne. Rien,
Tu entends, rien de rien,
Rien, rrien !
Alors, j’ai engagé
Un jeune maître d’hôtel. » -« Oh !...et après ?... »
-« Je ne l’ai pas amorcé,
Je l’ai allumé !
Oui, ça m’amusait.
Chaque matin, je le sonnais
Au moment où ma bonne m’habillait
Et chaque soir quand elle me déshabillait.
Comme un toit de paille, il a flambé !
Ce garçon s’appelait
Joseph, et je le tutoyais.
Il était dans un état…effrayant !
Moi, je m’amusais énormément.
Ce fut un de mes meilleurs étés… »
-« Et après ? »
-« Je lui ai dit un jour d’atteler mon panier
Pour me conduire dans la forêt.
Il faisait plus de trente degrés.
J’allais me trouver mal !
…Et je lui ai dit que je me trouvais mal,
Qu’il devait me porter sur l’herbe.
Puis quand j’ai été sur l’herbe,
J’ai suffoqué. Je lui ai dit de me délacer.
Quand j’ai été délacée…
J’ai perdu connaissance. » -« Tout à fait ? »
-« Oh, non ! Pas du tout. » -« Eh bien ? »
-« Eh bien…
Je suis restée …
Inconsciente.
Pendant que Joseph cherchait
En vain de l’aide
Ou un quelconque remède,
J’ai été patiente.
Puis il est revenu…Et je n’ai
Rouvert les yeux qu’après sa chute. »
-« Et que lui as-tu dit ? » -« Chut !… »
-« Après ça, tu as osé le garder ? »
« Mais oui, pourquoi l’aurais-je renvoyé ? »