Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…

Publié le 27 septembre 2014 par Chatquilouche @chatquilouche

Tirée du blogue de La Bienveillante

 Lorsqu’il ne portait pas ses lunettes de soleil, ses yeux couleur jetlag trahissaient en silence toutes les nuits passées à l’autre bout du monde. Il se pensait atteint d’un curieux syndrome : il était, désespérément et sans pouvoir en expliquer la cause, voyageur immobile. Aussi loin qu’il remonte dans sa mémoire, chacune de ses nuits était peuplée d’exotisme, de paysages lointains, de contrées irréelles qui, il le croyait fermement, existaient forcément, ailleurs. Et, comme ces personnes qui passent leur temps réellement ailleurs et ne reviennent que ponctuellement dans leur pays d’origine, il trainait sur son visage cet air constamment éloigné, une sorte d’indifférence au monde. Jamais vraiment là, jamais vraiment ailleurs. Si, durant ses journées, il trainait sa langueur dans la ville banale, la nuit tout devenait spectacle ahurissant. Se déroulaient alors des forêts tropicales, luxuriantes, dont les teintes injuriaient le monde par leur splendeur brillante. Des feuilles vertes, plus que vertes, outre-vertes, sous des pluies chaudes intenses, des corolles colorées de fleurs imaginaires, des odeurs chamarrées, lourdes comme des orages, une moiteur caressante, des chants d’oiseaux déments, des océans profonds dans lesquels tout son corps se confondait avec l’idée même de fraicheur, des vagues enveloppantes : les éléments dilués dans ses sens offraient, à l’ombre délicate de ses paupières lourdes, l’impression délicieuse de flotter, pareil à un nuage mouvant, sur des mers étrangères.

 Ses yeux couleur jetlag reflétaient, le jour, ces évasions – sa bouche pouvait bien se taire.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge Déclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.  Récemment, elle a publié Débandade(roman) aux Éditions Philippe Rey.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)