Mardi 23 septembre
Petit matin, je viens de terminer L’homme aux semelles de vent de Michel Le Bris, un livre fort excitant si tant est que l’on soit un peu sensible à l’homme lui-même. J’ai acheté ce livre en n’ayant pas pris le soin de lire la quatrième de couverture, comme souvent attiré par le simple titre, et surtout l’auteur que je connais notamment pour avoir écrit de très belles pages sur Stevenson. Connement j’ai cru avoir avoir acheté un livre sur Rimbaud et le voyage, un peu aveuglé par le chemin de l’auteur, mais je me suis lourdement trompé sur ses intentions. Raconter ce livre est impossible, c’est une immense gerbe de feu qui brûle sur le bûcher de la Raison ; ses détours sont nombreux et on n’accède finalement à une pensée qui ne se laisse pas saisir si facilement, entre une critique sensationnelle du hégélianisme, une ode à Nietzsche, une vision flamboyante du romantisme fossoyé par ce même Nietzsche, et une pensée de l’intercession du sacré au cœur d’une vie commencée dans le renoncement et le ressentiment généré par le déracinement d’un homme de sa terre dans une société d’après-guerre qui se modernise à un train d’enfer.
Il est temps pour moi de rassembler toutes mes lectures de cette année, de les entasser. Il va falloir continuer à écrire maintenant ; il va falloir que je m’émerveille à la relecture de mes notes, de tout ce que j’ai entassé pendant cette nouvelle année universitaire un peu clandestine à plusieurs titres, qu’il va falloir aussi que je réorganise, que je jette dans la marmite pour en faire une nouvelle production, solaire, fulgurante. Tout est en train de se recréer.
Nouvelle lecture : François Jullien, L’écart et l’entre : Leçon inaugurale de la Chaire sur l’altérité.
Je continue mon cheminement de pensée ; cette année le voyage se fera sur les terres du nomadisme ; le titre de mon mémoire en porte déjà les stigmates. A peu de choses près, l’accès se fera par le détour.
Antoine Calvino, Un an autour de l’océan Indien : un livre écrit avec les pieds. Il y avait longtemps que je n’avais pas lu quelque chose d’aussi mal écrit, d’aussi mauvais, d’aussi inconsistant. Pourtant, ça se sent, l’auteur s’est donné du mal. En vain.
Barbe de 4 jours.
Mercredi 24 septembre
J’ai appris hier soir, à peu près en même temps que tout le monde, la mort d’Hervé Gourdel qui a été kidnappé en Algérie. L’émission que j’étais en train d’écouter a été interrompue brutalement, l’animatrice a bredouillé quelque chose, une porte a claqué, des bruits comme quelqu’un qui s’installe autour de la table et elle dit, nous interrompons cette émission pour faire place à un flash d’information spécial. Je n’aime pas ces moments solennels dont la dureté de pierre est comme un souvenir dont on sait qu’il ne s’effacera jamais. Forcément, ce n’est pas facile de recommencer son émission dans ces conditions, quand on vient d’apprendre qu’un guide de haute montagne en vacances en Algérie s’est fait égorger par une troupe d’abrutis illuminés. Comment recommencer à vivre après ça ?
Jeudi 25 septembre
J’ai pris la liberté d’éteindre mon réveil lorsqu’il a sonné pour dormir jusqu’à temps de perdre pied au beau milieu de mes rêves. On ne peut pas vraiment dire que je fais des rêves prémonitoires ; dans l’ambiance un peu catastrophiste de mes songes, je me suis senti mal, à deux doigts d’éclater en sanglots à cause d’une de mes stagiaires. Ce matin, renversement de situation, tout s’est arrangé. Levé tard, mais toujours dans les clous, j’ai juste eu le temps de sauter sous la douche, avaler un petit déjeuner et je suis arrivé à l’heure.
La route s’est perdue dans un brouillard épais, épais comme une vie sans joie, sombre de l’intérieur. Peut-être est-ce matin que l’aurore a tourné les talons face à la fadeur des journées sans teint ?
Commencé trois livres de front : L’invention du quotidien du jésuite Michel de Certeau, Dehors dedans, la condition d’étranger du philosophe Guillaume Le Banc et Les conquérants d’André Malraux, qui n’a absolument rien à voir les deux premiers dans leur thématique et surtout, à propos duquel je suis strictement incapable de dire quel en est le sujet.
Vendredi 26 septembre
Je me suis initié de manière instinctive à la lecture rapide pour lire de Certeau ; étonnamment, je me suis tout de suite calé sur la recherche de l’essentiel dans le texte, le texte s’est alors mis à défiler seul devant mes yeux en écrémant directement les informations essentielles ; j’avais déjà quelques notions de lecture sur l’empan de la page, ce qui implique dans un premier temps de calibrer son champs de vision sur le gabarit de la page. Il faut ensuite trouver son propre mode de lecture. Je ne lis pas les premières lignes de la page car la fin de la précédente induit déjà cette partie, j’ai déjà donc l’intuition de ce qui va être dit. Pour la suite, je balaie la page en me basant sur les côtés, en lisant par flèches obliques, un coup à droite, un coup à gauche. Je peux ainsi trouver des éléments essentiels par mots-clés, mais en me basant aussi sur la méthode globale ; j’invoque les mots plus que je ne les lis réellement. Je passe ainsi quelques secondes seulement sur une page. Jusqu’au moment où il est nécessaire de ralentir. Évidemment, ce type de lecture ne convient qu’à des lectures de recherche, pas à de la lecture plaisir, sinon l’intérêt est nul. La lecture rapide est aussi très fatigante pour la vue et l’esprit, et le temps s’étire alors, devient denrée rare à savourer. Une expérience étrange, mais sage dans mon cas, tandis que je dois remettre dans quelques semaines mon mémoire de master.
En route pour Paris dans le RER, le voyage passé sur la nuque d’une fille dont je n’ai jamais vu le visage, blouson de cuir bleu, cheveux bouclés attachés, une mèche qui frôle sa joue lisse, Shalimar. Un instant de grâce interrompu par un type d’Asie Centrale qui parlait fort dans son téléphone. Au retour du CNAM, la douce chaleur derrière les carreaux m’a fait m’assoupir. Un vendredi comme un autre, en somme.
Samedi 27 septembre
Voilà, ma semaine se referme doucement. Mon programme du week-end va se partager entre poser du carrelage et en faire le joint, nettoyer le voile de ciment, repeindre le mur de la salle de bain. Je prendrai certainement aussi le temps de lire un peu et d’écrire quelques lignes sur mon blog, peut-être même monter quelques vidéos, le tout étant d’aller à mon rythme. Le mauvais mois d’août s’éloigne et n’a finalement pas laissé tant de traces que ça.
J’ai encore quelques jours devant moi pour me documenter et écrire encore quelques lignes pour mon sujet. Je vais laisser les choses venir, et retourner du côté de la peinture.
Je me laisse toujours envahir par l’odeur des femmes, et parfois, leur insoutenable et tendre féminité.
Photo d’en-tête © János Csongor Kerekes