une journée de fonctionnaire au XIXème siècle

Publié le 27 septembre 2014 par Dubruel

d'après L’HÉRITAGE de Maupassant

À la grande porte du ministère,

Les employés arrivaient comme un flot.

Le père Savon, expéditionnaire,

Prit place dans son bureau.

Son voisin, le commis Cachelin,

Lui demanda comme tous les matins :

-« Eh bien, comment va madame ? »

-« Ne vous occupez pas de ma femme. »

On approchait du jour de l’an,

L’époque des avancements.

Cette question, depuis un mois,

Affolait la ruche des bureaucrates

Du rez-de-chaussée jusqu’au toit.

Cachelin, diplomate,

Reprit : -« Je parie vingt francs

Que vous serez chef avant un an.

Moi, je n’ai eu aucun avancement

Depuis cinq ans.

Mais j’en suis certain,

Cette année, j’en aurai un. »

À peine avait-il prononcé ces mots,

Que Cachelin, rempli d’audace,

Alla frapper à la porte du bureau

De son chef, François de Batz.

-« Entrez ! Asseyez-vous.

Que puis-je pour vous ? »

Le commis s’assit, prit un air troublé,

Toussota, et dit d’une voix mal assurée :

-« En cette fin d’année,

Je souhaiterais

Obtenir un avancement. J’ai pensé

Que vous pourriez m’aider… »

-« Mais, mon ami,

Je ne suis rien ici.

Je ne peux pas… »

-« Tra la la !

Vous avez l’oreille du directeur ;

Si vous vouliez prendre un quart d’heure

Pour lui expliquer que, dans deux ans,

J’aurais droit à la retraite…

Et si je n’obtiens rien à la fin de l’année,

Cela ne me fera que cinq cent francs…

Je sais bien qu’on répète :

’’Cachelin n’est pas gêné,

Sa sœur a un million.

Mais elle ne me donne pas un picaillon.

Cet argent, elle le réserve à ma fille.

Or, ma fille

Et moi, ça fait deux.

Quand mon gendre et ma fille

Rouleront carrosse, moi, je serai en guenille !

N’est-ce pas affreux

De n’avoir rien à se mettre sous la dent ?

Vous comprenez ma situation ? »

François de Batz opina du front :

-« Je comprends.

Comptez sur moi. Je vais en parler à M. Giffard »

-« Merci, monsieur ; je vous remercie. »

Huit jours plus tard,

M. de Batz adressait

À Cachelin un pli cacheté

Qui contenait ceci :

’’Je suis heureux de vous annoncer enfin

Que sur ma proposition

Le directeur a signé votre nomination

De commis principal. Vous recevrez demain

La notification officielle mais jusque-là,

Faites celui qui ne sait pas ? ’’

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Un an après,

La sœur de Cachelin décédait.

Pour l’ouverture du testament,

Dès le lendemain de l’enterrement,

Se présentaient chez maître Dury

Cachelin, sa fille et son mari.

Le notaire se leva et lut :

‘’Je soussignée,

Cachelin Marie-Jeanne Perpétue

Exprime ici mes dernières volontés.

Je laisse un million cent mille francs

Aux enfants

Qui naitront du mariage de ma nièce

Cachelin Coralie-Agnès

Avec jouissance des intérêts

À leurs parents

Jusqu’à la majorité

De l’aîné de leurs descendants.

Et dans le cas

Où Coralie n’aurait pas

De descendant