#Science #FoiNic Ulmi 27 septembre 2014
Physicien quantique et chrétien fervent, Andrew Briggs est professeur de nanomatériaux à
Oxford. Les deux quêtes forment pour lui un mariage heureux, plein de respect mutuel et riche en plaisirP
hysicien, le nez plongé dans les énigmes ultimes de la réalité, spécialiste des matériaux d’une petitesse nanoscopique pour les ordinateurs quantiques, chrétien fervent. On cherche l’erreur. Mais dans le cas d’Andrew Briggs, il n’y en a pas. Le titulaire de la chaire des nanomatériaux à l’université d’Oxford croit – très haut et très fort – en un Dieu qui ne résiderait ni dans les trous que la science n’a pas bouchés, ni dans une vérité qui contredirait les découvertes de la physique ou de la biologie, mais dans tout ce que la recherche scientifique met au jour. Entre science et foi, pas besoin, donc, de choisir…Le Temps: Comment votre double vocation s’est-elle manifestée?Andrew Briggs: Petit garçon, j’étais passionné par la compréhension du fonctionnement des choses. Cela était encouragé, je crois, par ma mère, qui est mathématicienne, et par un ami de mes parents, scientifique à Cambridge, où nous vivions. J’ai d’autre part le privilège d’être issu d’une famille croyante: mon frère, mes sœurs et moi-même, nous avons grandi dans la connaissance de la Bible et l’amour pour Dieu. J’ai étudié la physique à Oxford, j’ai obtenu mon doctorat au laboratoire Cavendish à
Cambridge et j’ai commencé à me demander que faire de ma vie. Pendant un temps, j’ai cru que j’étais appelé à devenir pasteur au sein de l’Eglise anglicane. J’ai donc étudié la théologie à Cambridge pour m’y préparer. Mais au cours de ces études, je me suis senti dépassé par la tâche. C’était un moment inconfortable. Mon professeur au laboratoire Cavendish, un Juif très dévot, qui comprenait à la fois la nature de l’engagement spirituel et de celui pour la science, m’a été d’un grand secours. Il m’a aidé à refaire la transition vers la recherche scientifique.
Le champ que vous avez choisi présente-t-il un intérêt théologique?En décrivant Jésus, l’évangile de Jean emploie le mot grec
logos («verbe» ou «parole»). Il faut savoir que Jean adorait les expressions à doubles sens. À l’époque où il écrivait,
logos renvoyait à la fois au concept juif d’un Dieu qui communique avec le monde par la parole et à celui d’un principe sous-jacent de l’univers. Quand Jean explique qui est Jésus, il dit qu’en lui le
logos est devenu chair. En d’autres mots, un concept abstrait s’est incarné physiquement. Il y a un parallèle avec ce qu’on fait dans le domaine quantique, où l’information est considérée comme incarnée physiquement…
Vous dites que le travail des scientifiques consiste à mettre en lumière «comment Dieu fait fonctionner le monde». En quoi cela diffère-t-il du fait de montrer, tout simplement, comment le monde fonctionne?Au-dessus de l’entrée du laboratoire Cavendish, on lit ces vers du Psaume 111: «Les œuvres de l’Eternel sont grandes, elles sont recherchées de tous ceux qui y prennent plaisir.» J’adore cette description. Comprendre quelque chose qui n’était pas compris, résoudre un problème mathématique irrésolu, faire fonctionner une expérience et en obtenir des données, ce sont de véritables plaisirs – plus intenses, selon certains, que n’importe quel autre plaisir connu par l’expérience humaine. Tout scientifique, qu’il croie en Dieu ou pas, peut les éprouver. S’il est en relation avec Dieu, il ressent un plaisir supplémentaire, qui vient précisément du fait que sa démarche prend place dans le cadre d’une relation: il découvre la création d’un créateur qu’il connaît. Je vous donne une analogie: la musique me procure un plaisir immense, que je peux trouver en écoutant un CD. Mais il se trouve que je viens d’une famille musicale: écouter de la musique jouée par les membres de ma famille apporte une dimension supplémentaire à mon plaisir, parce que l’acte créatif se trouve dans le contexte d’une relation.
Au-delà de ce plaisir, y a-t-il une différence entre montrer comment l’univers fonctionne et «comment Dieu le fait fonctionner»?Je pense que c’est quasiment la même chose. Je ne veux pas introduire une différence là où il n’y en a pas… James Clerk Maxwell, par exemple (un des physiciens le plus important du XIXe siècle, qui unifia en un système d’équations tous les phénomènes électromagnétiques, ndlr), avait une profonde foi chrétienne. Mais il est clair que s’il avait été athée, ses équations auraient été exactement pareilles. La différence, subtile mais importante, réside dans le fait que la connaissance scientifique comporte une information supplémentaire pour le croyant: elle ne nous dit pas seulement quelque chose sur le monde, mais également sur le caractère de son créateur.
La description du «travail de Dieu» à laquelle on parvient à travers l’observation scientifique entre-t-elle en conflit, parfois, avec la narration biblique de ce même travail?Il y a des champs où de tels conflits peuvent éclater. Le plus répandu oppose certaines manières d’interpréter la description de la création dans les premiers livres de la Bible et la théorie de l’évolution – une théorie qui est acceptée, au demeurant, par tous les vrais scientifiques croyants actifs dans les sciences du vivant. De telles oppositions sont dommageables. Elles poussent des gens qui croient en la science à rejeter la foi et, malheureusement, elles conduisent aussi des gens qui croient en leur foi à rejeter la science: ce qui est tragique, surtout quand ce rejet de la science est imposé à des enfants qui ne peuvent choisir par eux-mêmes. En réalité, rien de tout cela n’est nécessaire…
En tant que scientifique chrétien, comment imaginez-vous le travail quotidien de Dieu dans l’univers?C’est une des plus grandes questions qui soient – et pas seulement pour un chrétien. Je dînais, samedi dernier à Cambridge, avec mon ami Nidhal Guessoum, auteur d’un livre intitulé
Islam’s Quantum Question: Reconciling Muslim Tradition and Modern Science. Lui aussi, en tant que musulman, pense qu’il s’agit là de la plus grande question… Il y a une leçon à retenir du côté de la science des quanta. Au cœur de la physique quantique, il y a des questions fondamentales à propos desquelles il n’y a pas de consensus. Qu’est-ce qui se passe réellement quand nous effectuons une mesure dans une expérience quantique? Quel est le rapport entre les lois du monde quantique et celles, apparemment incompatibles, de la physique classique qui s’observent dans notre expérience humaine? Est-ce que la fonction d’onde est juste une formule, ou est-elle réelle? Puisqu’il n’y a pas d’accord entre les scientifiques dans ce domaine, et donc pas de réponse à ces questions fondamentales, on pourrait dire qu’il est intellectuellement incohérent de continuer à utiliser la théorie quantique. Mais cette théorie est trop robuste, trop bien testée et trop utile pour l’abandonner, même si elle repose sur des questions irrésolues. Voyez-vous le parallèle? On peut continuer à mener une vie dans la foi, même avant que les réponses dans ce domaine soient accessibles…
Si Dieu a créé l’Univers et qu’il y travaille au quotidien, cela implique-t-il que les lois de l’univers peuvent changer au gré du vouloir du Dieu?Ce serait une réponse possible à la question des miracles. Je respecte et j’ai beaucoup appris de ceux qui formulent cette réponse… Mais en ce qui me concerne, je ne suis pas sûr que je la trouve satisfaisante.
Ayant établi, par votre foi, l’existence de Dieu, n’êtes-vous pas amené, en tant que scientifique, à vous demander d’où Il vient?Je ne suis pas sûr que je pourrai trouver un jour une réponse à cette question, comme d’ailleurs à celle qui consiste à se demander d’où vient l’univers – et pourtant, ce ne sont pas les suggestions qui manquent… Quant à savoir d’où vient Dieu, la réponse simple serait: il est le point de départ, il était là avant le temps. Mais je me rends compte que c’est une réponse un peu simple à une question qui mérite une réflexion profonde.
Vous préparez, avec le peintre Roger Wagner, un livre intitulé The Penultimate Curiosity: How Science Swims in the Slipstream of Ultimate Questions. De quoi s’agit-il?Nous partons de la première entreprise intellectuelle dont on ait des traces, l’art pariétal, et retraçons l’histoire de la «curiosité ultime» des humains face à la réalité. À un moment donné, une «pénultième curiosité» qu’on a appelé «science» a émergé à l’intérieur de cette quête. Une partie de son succès vient du fait qu’elle s’est donné des objectifs plus limités. Elle a été immensément satisfaisante, bénéfique, enrichissante. Mais il y a plus. Si on s’arrête à la «pénultième curiosité», on rate le meilleur.
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/1d4398f4-458c-11e4-80ff-d339e46abe52%7C3