Du 22 au 28 Septembre 2014, la Cinémathèque de Nice accueille le deuxième Festival du Cinéma Russe à Nice. Le festival, organisé conjointement par le Ministère de la Culture de la Fédération de Russie, la ville de Nice et le Gosfilmofond, fait la part belle à toutes les sensibilités de la longue histoire du cinéma russe, diffusant des films récents et des chefs-d’œuvre de l’ère soviétique. À cette occasion, nous avons assisté à la projection du premier film de Alekseï Guerman, coréalisé avec Grigori Aronov en 1967, intitulé Le septième compagnon. Le film avait été rapidement retiré du circuit de distribution à sa sortie à cause de son héros atypique issu de la bourgeoisie. En première partie de la séance a été projeté le court-métrage Film, film, film. Ce film d’animation réalisé en 1968 par Fyodor Khitruk se donne, avec beaucoup d’humour, le but pédagogique d’expliquer le cheminement qui mène à la sortie d’un film.
Film, film, film décrit en premier lieu le dur labeur du scénariste qui reprend cent fois ses brouillons et se morfond en attendant que sa muse vienne l’inspirer. Vient ensuite le long labeur du réalisateur passant de producteur en producteur qui refuse le scénario parce qu’il est trop court, trop long, ou incompréhensible pour leurs esprits obtus. Enfin, le court-métrage met l’accent sur tous les imprévus qui agitent et retardent les tournages. Il faut voir le réalisateur recommençait maintes fois ses explications à la petite fille qu’il veut faire gambader dans les champs. C’est un vrai moment comique. Notons que ce reportage animé sur le cinéma soviétique fonctionnerait très bien en dans l’ancien bloc de l’Ouest. Notons surtout que la situation est toujours la même. Enfin, brisons le coup à certaines de nos représentations sur l’Union Soviétique, la bande son du dessin-animé est étonnamment rock et l’animation drôlement psychédélique par moment.
Dans Le septième compagnon, il est question du général Adamov (Andrei Popov) qui est incarcéré par les bolchéviks à l’automne 1918. Il est retenu avec d’anciens responsables militaires de la Vieille Armée en attente de l’étude de son dossier. Il est jugé innocent par le tribunal révolutionnaire pour avoir refusé de condamner deux marins de Sébastopol lors des révoltes de 1905. De retour chez lui, il se rend compte que son appartement a été donné à des familles pauvres durant son absence. Adamov entame alors un périple dans les rues de Saint-Pétersbourg. Errant, il s’interroge sur l’avenir et le bien-fondé de la révolution qu’il finit par épouser.
Le septième compagnon a aussi été distribué sous le nom Le septième satellite. Ce que vit Adamov est semblable à celle d’un satellite attiré par des astres plus puissant que lui et qui brillent tellement qu’ils éclipsent les autres. C’est le cas de la révolution russe qui fait irruption dans sa vie. Adamov, professeur de droit à l’Académie militaire, était déjà critique vis-à-vis du tsarisme mais n’avait jamais, influencé par son milieu, envisagé l’hypothèse révolutionnaire. Mis devant le fait accomplis, il ne peut pas nier les avancés indéniables de la révolution. Le film peut se découper en trois parties qui sont autant de cheminements et de questionnements pour le vieil homme.
Dans un premier acte, Adamov est emprisonné avec ses pairs. Le vieil homme est en retrait, ne participant que peu aux discussions. Il semble résigné à son sort que tout le monde promet sinistre. À la suite d’une altercation avec un tsariste revendiqué qui refuse de dormir sur une paillasse et dans laquelle Adamov s’interpose, Kukhtin (Aleksandr Anisimov), colonel de l’Armée Rouge chargé de surveiller les prisonniers et de s’occuper des sentences le remarque et commence à le respecter. Alors que tous reçoivent des denrées de leur famille, Adamov qui est veuf ne reçoit rien et finit par faire un malaise. C’est l’occasion pour les deux hommes de fraterniser.
Kukhtin (Aleksandr Anisimov) et Adamov (Andrei Popov)
Libéré, absout des charges qui pesaient contre lui, Adamov tente donc de rentrer chez lui. Il s’aperçoit alors que son appartement a été attribué à des travailleurs pauvres. S’il se montre choqué dans un premier temps, c’est plutôt parce que l’on a détruit les lettres et les portraits de sa femme. En tant que juriste, il manifeste son incompréhension au commissaire (Aleksey Batalov) qui a attribué son logement. Il distingue les biens matérielles qui peuvent être saisis et les biens sentimentaux qui sont inaliénables. Le commissaire argue qu’il n’y a plus de propriété privée qui vaille et qu’il était considéré comme mort pour tout le monde. Attristé par la disparition de ses souvenirs, il s’en va dans la rue avec une petite horloge, dernier vestige de son passé. Tentant de visiter quelques amis, il est rejeté partout car on craint celui qui a été libéré par les révolutionnaires. Il n’a plus d’autre choix que de demander asile à Kukhtin qui accepte de l’embaucher dans l’Armée Rouge en tant que blanchisseur. À ce moment-là, Adamov n’est pas en révolte contre la Révolution. Au contraire, il en a accepté l’inexorable conquête des cœurs et de plus, il juge que les avancées sociales réalisées sont indéniablement nécessaires et justes. C’est pourquoi il refuse que le colonel lui fasse restituer son logement.
Adamov (Andrei Popov)
Enfin, dans le dernier acte du septième compagnon, Adamov ayant épousé les idées de la Révolution en épouse aussi l’uniforme. Reconnu par un gradé, ce dernier lui propose d’aider l’Armée Rouge en campagne par son expérience militaire. Adamov accepte. Appelés pour mener l’enquête dans un village après un massacre de soldats, Adamov s’oppose à son supérieur qui veut mener une justice expéditive. Adamov est un authentique homme de bien et se refuse à un procès bâclé. Il n’est pas entendu. Pour autant, il n’abandonne pas la lutte. Capturé par l’Armée du Nord, Adamov a ce mot d’humour à l’encontre du général qui veut lui faire intégrer l’Armée blanche car il a été reconnu : « Avez-vous une armée pour chaque points cardinaux ? ». C’est la dernière escarmouche d’un homme libre et juste conquis par l’idéal communiste. Comme tant d’autre victimes, Adamov sera aspiré par le vent de l’Histoire.
Adamov (Andrei Popov) et le général de l’Armée du Nord
Histoire du cheminement intellectuel d’un homme, le septième compagnon raconte avant tout autre chose la force inexorable des idées de progrès et la destinée tragique d’un homme qui, par éthique comme il le dit, ne reniera jamais l’idéal qu’il a vu naître.
Boeringer Rémy