Note: 4/5
Jean-Marie Villeneuve est un autodidacte du cinéma. Expérimentateur de formes sans limite, il réalise un bon nombre de courts-métrages tous plus différents les uns que les autres, mais qui se rejoignent sur le travail du portrait de l’individu. J’étais tombé sur l’un d’eux, L’acteur, lors d’une soirée projection à Paris – visible ici
– et le résultat en était bluffant.
Un an plus tard, Jean-Marie Villeneuve se lance dans l’aventure du long-métrage, avec un scénario construit et beaucoup d’idées de mise en scène sous la main. Mais face au fatalisme du schéma classique de production, et sans grand CV dans le cinéma, il décide, lui et son film-ovni, de se lancer dans l’aventure de manière complètement indépendante. La volonté de faire ce film coûte que coûte prend donc le dessus : il lance une campagne de financement sur le conseil d’un proche, et trouve la somme légère de 2000€. Dès lors, le pari est lancé : est-il possible de faire une oeuvre à la hauteur de ses idées sans argent ? La réponse est définitivement oui.
L’absurde d’une déshumanisation urbaine
Le film s’ouvre sur un plan-séquence non sans rappeler la caméra-voyeuriste d’Enter the Void de Gaspar Noé : derrière le personnage, elle le filme dans une forêt et le suit dans sa marche, plus ou moins en rythme avec ses pas. Un fondu au noir nous bascule, sous la même échelle de plan, dans la ville, Paris. Voilà alors l’histoire de Fred, un personnage rêveur, discret, timide, mais surtout sur-abusé par le climat jaunâtre d’une ville bruyante et des personnages qu’elle renferme. Tout est faux nous délivre le portrait de la vie de cet homme : l’errance d’un homme qui n’arrive pas à s’exprimer dans un paysage urbain où tout le monde crie.
A travers les allers-retours entre son chez lui, son travail absurde qui consiste à répondre « oui » aux appels qu’il reçoit dans une pièce de 2m2, et ses rendez-vous dans un bar avec celle qu’il convoite, Marie, une femme qui n’a d’oeil que sur son pouvoir de séduction, Fred tombe sur des personnages qui s’offrent à lui comme un spectacle de rue : un drogué qui tente de lui vendre une drogue spéciale ; un homme d’affaire qui refuse de le voir marcher sur les mêmes pavés que lui ; un aveugle qui crie dans le vent son désespoir face au monde politique ; une femme à la laverie qui lui propose de se revoir. Tout cela dans la trame politique des élections de 2012 opposant Sarkozy à Hollande.
Ce travail, ces rendez-vous, ces rencontres, ce climat politique : tout cela devient le quotidien répétitif et absurde de Fred où il lui est strictement impossible de s’exprimer, de se trouver une réelle existence. L’abusement total d’un homme ou comment la ville devient un vrai terrain de jeu.
Du bruit, du bruit, et encore du bruit. Le point fort du film est d’être construit sur un modèle, une ambiance peu commune : l’oppression de Fred, qui dans le film dénonce les ressorts de la société actuelle, passe par les rencontres individuelles qu’il fait. Cette oppression, elle n’est pas le fruit d’un scénario facile et direct, non. Elle est le fruit d’une mise en scène approfondie et oppressante où une inquiétante étrangeté se cache derrière la moindre des facettes de la ville. L’ambiance cauchemardesque et le mal être de Fred se fait sentir par l’image qui présente un léger bruit volontaire accompagné d’un vert-jaune omniprésent, et surtout par le son : les dialogues ne sont pas nombreux, mais le son est particulièrement travaillé pour venir appuyer le renfermement du personnage avec beaucoup d’effets, et de mixes entre les différents bruits de la ville qui viennent faire respirer le récit derrière le silence constant de Fred.
Derrière le peu de moyens pour construire son film, Jean-Marie Villeneuve incorpore les problèmes que présente un tournage sans peu de budget pour les adapter à la forme de l’histoire. Quitte à tourner en improvisant durant les élections 2012 (on se rappelle aussi de La Bataille de Solferino) pour jouer d’une redondance politique sur l’homme. La ville (de jour comme de nuit) devient le véritable terrain de jeu d’un tournage à la « sauvage » et affiche l’énergie bien présente du film. La scène imaginaire dans la boite de nuit où Fred est pris, sur « Stress » de Justice, de visions d’horreur vis à vis de Marie, et celle du baiser à trois marquent particulièrement le mal être du personnage (et du spectateur).
Villeneuve présente donc dans Tout est faux un schéma singulier et réussi pour faire ressortir les émotions cachées, sans aucun moyens, bien que le passage – très poussé par la mise en scène – de la réduction au silence de l’homme ne soit pas aussi bien montré sur la fin du récit. Fred parvient subitement à retrouver l’espoir et le poids de sa parole grâce à sa rencontre avec une femme. Le changement se fait rapidement et amène une légère confusion.
L’histoire elle-même pourrait être une mise en abîme du réalisateur avec son film, derrière la non-écoute des systèmes de production. Jean-Marie Villeneuve nous prouve donc bien une chose : il est possible de concevoir un véritable univers, d’avoir une véritable énergie malgré le cruel manque de moyens et d’en imposer !
Thomas Olland
Film à voir au cinéma du Saint-André des Arts, avec la présence récurrente du réalisateur durant les séances à 13h