Ils allaient être 19 à se donner en spectacle devant la famille royale ce jour-là.
Quand Marlène Dietrich a fait son arrivée au Royal Variety Command Performance Theater, personne ne l'a remarquée. Sinon Ringo qui lui reluquait les jambes. Les Beatles inclurait Marlène sur leur pochette de Sgt.Pepper's... un an et demi plus tard.
Mais quand ceux qui venaient de révolutionner le monde de la musique pop, ceux qui allaient passer au 7ème rang dans sur scène devant la famille royale, sont arrivés, la folie était totale.
Les Beatles n'étaient plus libres de leurs mouvements depuis peu, nous étions en 1963 à Londres. On les avaient qualifiés de définition pure du plaisir sain.
Mais les Beatles étaient aussi la voix des angry young mens, de la classe ouvrière, ces britanniques qui ne voudraient jamais vendre leur âme à la bourgeoisie et qui était fiers de leurs racines prolétariennes. John Lennon était fantastiquement nerveux et souhaitait offrir une certaine résistance à la Reine Elisabeth II. Lennon était nerveux mais pas autant que leur gérant Brian Epstein. Lennon lui avait dit qu'il dirait "rattle your fuckin' jewelry" au "prestigieux" public. La perspective d'entendre une vulgarité qui ferait écho pendant des années dans les corridors de Bukingham Palace ne plaisait pas du tout à Epstein, il n'avait pas envie d'un tel sabotage Lennonien. Mais que peut faire un instructeur quand ses joueurs sont lancés sur la glace?
Sur la défensive lui aussi, quand Paul s'était fait demander si après ce spectacle il faudrait maintenant les traiter en prince, il avait répondu avec son meilleur accent cockney : "Non, nous ne parlerons pas tous comme à la BBC!"
La reine n'y serait même pas, enceinte du prince Édouard, elle n'avait pas voulu s'exposer à trop d'énervement. Mais la reine-mère y serait. La princesse Margaret aussi et Lord Snowdon, les enfants, les petits enfants, tous des fans conquis d'avance.
Débutant avec From Me To You, Lennon chantant trop fort, McCartney trop bas, Harrison paraissant beaucoup moins que ses 20 ans et Ringo dodelinant de la tête, ils allaient enchaîner avec la contagieuse She Loves You (YEAH YEAH YEAH!). Paul a annoncé la chanson suivante avec une blague sur le poids de la chanteuse Sophie Tucker, qui elle-même blaguait couramment sur son propre surpoids. "Nous allons jouer un morceau de Meredith Wilson qui a aussi été repris par un de mon groupe préféré des États-Unis: Sophie Tucker". Les gens ont ri. Les mères et les jeunes filles rougissaient devant le visage de chérubin du jeune Paul de 20 ans. Sans se douter des animaux que ces quatre garçons étaient aussi à Hamburg en Allemagne, il y avait moins d'un an.
Le groupe a fait une courbette coordonnée avant que Lennon ne s'approche du micro faisant trembler Epstein. Il s'est gratté le crâne chevelu, doutant de ce qu'il allait dire puis a dit:
"Pour notre dernier morceau, nbus allons avoir besoin de votre aide" Il a passé sa langue sur ses lèvres pour se donner de la contenance et a poursuivi:
"Pour les gens dans les sièges les moins chers, vous pouvez applaudir, pour les autres, vous pouvez secouer vos bijoux!" Il a baissé la tête comme un enfant qui aurait dit une grossièreté et attendant le coup de règle du grand maître, au souri à la caméra le regard par en dessous comme pour lui demander "Est-ce que c'était acceptable?" et comme se répondant à lui-même il a montré le signe du pouce comme quoi tout était cool. Pour faire bonne mesure et peut-être inconsciemment, il a ensuite fait une autre courbette à la japonaise avant que le groupe n'entame Twist & Shout au son d'un libérateur hurlement d'ouverture de John.
Les gens ont ri. La reine mère a levé la main, invitante mais aussi comme dans un autre âge entre le grondage moqueur et la bonne joueuse. Un dignitaire a souri derrière elle. Un autre à ses côtés semblait se demander si il s'agissait d'un crime de lèse majesté ou d'un moment de cocasserie comique. La Princesse Margaret s'est levée et a vécu pleinement ses 32 ans en tapant des mains et en mordant dans le moment.
Les Beatles échangeraient très brièvement en privé avec la reine-mère et son entourage par la suite.
Malgré les 19 interprètes de ce soir-là, le lendemain ce seraient les Beatles qui feraient la une de tous les journaux.
Gardant une élégante irrévérence à l'égard de la monarchie, George Harrison répondrait à la question "Quelle actrice jouera à vos côtés pour le film A Hard Day's Night?" par "Nous avons pensé à la reine, son nom vend bien".
Bien qu'invité à chaque année au même type de spectacle par la famille royale, les Beatles n'y retourneraient jamais. "Tout le monde est nerveux, constipé, et on joue alors très mal sur scène" avait été l'explication diplomatique de Lennon.
Ceci n'empêcherait pas la reine de les faire membre de l'Ordre de l'Empire Britanique deux ans plus tard pour leur gigantesque contribution au rayonnement de l'Angleterre dans le monde.
En 1969, John la leur retournerait en signant:
"Votre Majesté, je vous renvoie votre médaille en guise de protestation par rapport à ce qui se passe au Biafra , contre votre soutien aux États-Unis pour leur implication au Vietnam, et contre la performance décevante de mon single Cold Turkey sur les palmarès d'Angleterre"
Paul allait la même année être plus gentleman en signant le dernier morceau du dernier album enregistré des Beatles: Abbey Road, d'une adresse à sa majesté où il chanterait qu'elle avait bien peu à dire, mais qu'il voudrait tout de même la faire sienne.
En effet, la Reine l'anoblirait en 1997.
Il n'y avait rien de plus fameux pour des garçons britanniques, et surtout pour leurs familles, que de jouer pour la reine. Peu importe la résistance officiellement affichée en 1963 par les quatre garçons dans le vent.
Le 4 novembre prochain, il y a 51 ans, les Beatles se produisaient devant la famille royale,
La Reine leur remettait L'Ordre de l'Empire Britannique aujourd'hui il y a 49 ans.