Tout Homme a un mentor, un exemple à qui s’identifier, une personne sur laquelle il prend exemple et sur qui il peut compter pour avoir les meilleurs conseils et décider des meilleurs choix possibles. On peut en avoir plusieurs, des Mentors.
Dans le domaine de la préparation physique, je vais essayer de présenter dans les prochains mois, du mieux possible mes « mentors ».
Aujourd’hui, vous allez découvrir le premier : Benjamin DELMORAL, préparateur physique rugby du LOU Rugby, que je remercie beaucoup et avec qui j’ai eu la chance de travailler. Je vous propose de faire sa connaissance. Benjamin se livre sans retenu pour vous faire découvrir son métier.
Installez-vous bien car Benjamin a beaucoup à partager (il ne fait jamais les choses à demi-mesure) et va vous livrer une tonne d’informations… et ça c’est vraiment cool! En bonus, vous verrez qu’il adore partager.
Salut Benjamin, tout d’abord je te remercie d’avoir accepté de répondre à mes questions. C’est un énorme plaisir de t’accueillir sur mon blog. Peux-tu nous expliquer ta formation et ton parcours ?
Après avoir évolué comme rugbyman semi-professionnel à l’ASM Clermont Auvergne puis au Paris Université Club, j’ai eu l’opportunité par l’intermédiaire du dispositif Emploi-jeune d’obtenir un poste de responsable sportif du centre de formation du PUC section rugby et coordonner le travail de la préparation physique du club des catégories jeunes jusqu’aux séniors. J’ai donc pu concilier la pratique dans mon activité avec la double casquette entraîneur/préparateur physique et la théorie en passant plusieurs formations. En effet, en parallèle de mes missions au club, j’ai complété mon cursus STAPS par deux diplômes universitaires spécialisés, le premier en préparation physique (Diplôme Universitaire Européen à l’intention des préparateurs physiques en sports collectifs, tennis et ski alpin, à Lyon), le deuxième en préparation mentale appliquée à la performance sportive (mené conjointement par les Universités de Clermont-Ferrand et d’Orléans). J’ai également obtenu mon Brevet d’État deuxième degré d’entraîneur de rugby.
Passer ces diplômes m’a permis de m’ouvrir à toutes les disciplines et toutes les spécialités de la préparation physique. J’ai depuis fait de cette ouverture un principe fondateur de mon fonctionnement : puiser dans les travaux et les avancées de mes confrères – toutes disciplines confondues – ce qui fait sens pour m’améliorer et produire à mon tour ma propre méthode. Ainsi, j’ai traversé l’Atlantique à plusieurs reprises, pour suivre un Mentorship avec une société privée en préparation physique (Athletes Performance) et participé à des stages de pré-saison de football américain.
En 2005 à 27 ans, j’ai intégré le staff du Stade Français Paris Rugby, club Champion de France de rugby en 2007, et, depuis 2011, j’officie comme préparateur physique au LOU Rugby, le club de Lyon.
Mon expérience parisienne, doublée d’une expérimentation personnelle convaincante, m’a définitivement orienté vers une approche fonctionnelle et prophylactique (prévention et diminution des risques de blessures) qui constitue aujourd’hui mes axes prioritaires en préparation physique.
Dans le basketball en France, le travail du préparateur physique est peu représenté et peu valorisé, contrairement au rugby, où il a un rôle très important au sein du staff. Peux-tu nous dire pourquoi ?
C’est vrai que culturellement dans les clubs de basket-ball en France, les préparateurs physiques me semblent ne pas avoir une grande influence, ni une légitimité forte car ils n’ont pas suffisamment de responsabilités et ne prennent pas assez part aux décisions importantes. Mais je remarque que les choses évoluent depuis quelques années, je pense notamment à la nomination de Frédéric Aubert comme entraîneur National en charge de la préparation physique à l’INSEP. Fred est un grand professionnel et un pédagogue incroyable, j’ai énormément de respect pour l’homme et le préparateur physique qu’il est, ce n’est pas un hasard si il est intervenu à la fois auprès des équipes de France hommes et femmes lors des J.O de Londres. Je pense qu’il va contribuer à faire évoluer les mentalités sur la place de la préparation physique en basket-ball et sur le rôle du préparateur physique en général (comme il a pu le faire en rugby lorsqu’il était au Stade Français Paris). Je pense également qu’il faut s’inspirer de la NBA où les préparateurs physique occupent une place importante au sein du staff sportif pour optimiser la performance des basketteurs. Je suis convaincu que bons nombres de coachs français vont de plus en plus aller dans ce sens et impliquer encore plus les préparateurs physiques.
En rugby, la préparation physique est très importante car c’est un sport de combat et si on veut avancer il faut d’abord gagner son duel sur le 1 contre 1, être fort dans l’évitement et sur les impacts et également être capable de réaliser des efforts à haute intensité pendant 80 minutes, la grande majorité des joueurs en ont conscience. C’est pourquoi ils travaillent dure pour être performant. Ils savent aussi que l’approche prophylactique est une priorité dans le but de rester compétitif et d’augmenter la durée de leurs carrières sportives. Qui plus est, le rugby est un sport avec des valeurs fortes et les joueurs respectent profondément les membres du staff, ils savent que les résultats et la performance individuelle et collective passent d’abord par un énorme travail à l’entraînement et ils ne négligent pas la composante physique. Enfin, il y a (eu) de nombreux étrangers venus de l’hémisphère sud pour entraîner les clubs français, ils ont tous accordé une place forte à la préparation physique. Ils ont souvent donné au préparateur physique une place de coach à part entière, je pense notamment à Vern Cotter, le néozélandais de Clermont qui a structuré le club, l’a hissé parmi les meilleurs d’Europe et qui a en plus une confiance et une complicité avec son préparateur physique Sébastien Bourdin.
Tout cela explique probablement pourquoi le rôle du préparateur physique est peut-être plus facile aujourd’hui dans le rugby.
En tant qu’expert en préparation physique et entrainement, quels liens établis-tu entre les qualités physiques requises au rugby et ceux du basket ? Qu’est-ce que le basket pourrait à ton avis apporter au rugby ?
Il est très difficile de comparer le rugby et le basket-ball. Au basket (notamment en NBA) les équipes jouent tous les 3 jours avec les déplacements à gérer, en rugby avec les collisions et les phases de combats c’est impossible !!!!! Il existe tout de même des similitudes, en effet, certaines qualités physiques sont déterminantes dans les deux sports, notamment la vitesse, la puissance, mais également la coordination motrice. En revanche la force est nettement plus développée chez les rugbymans. J’admire la motricité des basketteurs, surtout avec leurs gabarits (à plus de 2 mètres). Ils sont vifs avec des changements francs et souvent déroutants. Les rugbymans ont beaucoup à apprendre et doivent à coup sûr s’inspirer du travail d’appuis des basketteurs. Aussi je trouve les basketteurs sont pour la plupart très affûtés physiquement, je trouve que se sont de vrais athlètes. En rugby il y a encore des joueurs en surpoids sauf sur le très haut niveau. Le rugby peut encore énormément progresser, il doit donc puiser dans d’autres sports et bien évidemment le basket-ball en fait partie.
Peux-tu nous dévoiler tes grands principes de travail ?
Lorsque l’on parle de principes de travail, il faut distinguer deux éléments.
D’abord il faut un système de valeurs et des règles de vie clairement définis et appliqués par tous (staff et athlètes). Ces valeurs partagées constituent le ciment d’une identité et d’une cohérence collective. Elles constituent en ce sens un moteur qui doit nous porter pour être performant et atteindre les objectifs. J’insiste profondément sur ces valeurs tout particulièrement sur la notion de respect, d’exigence au quotidien et du travail bien fait, toujours dans le but de viser l’excellence. Je pense que la première chose à faire quand on fait son travail c’est de bien le faire. J’aime la phrase d’Eric Lindros (joueur de Hockey canadien) : « le plus important n’est pas forcément le temps que tu passes à t’entraîner, mais la façon dont tu le fais».
Ensuite, il faut établir une stratégie, avoir une méthode et des convictions fortes. En préparation physique, l’originalité de ma méthode repose sur une approche fonctionnelle basée sur le principe de chaînes poly-articulaires permettant des mouvements dans les trois plans de l’espace. Complété par une approche prophylactique visant à réduire considérablement les risques de blessures. Et comme chaque préparateur physique, je développe également le système énergétique pour être capable de mieux récupérer entre les séquences de jeu, les matchs et sur l’ensemble d’une saison.
Peux-tu nous décrire ton travail ?
Au Lou Rugby, je coordonne le travail de la préparation physique et je suis l’interlocuteur direct des entraîneurs. Mes missions sont multiples j’interviens sur plusieurs domaines :
La programmation et la planification : je rédige le planning hebdomadaire (souvent sur 3 semaines) en concertation avec le head-coach. Je prépare la planification des cycles de préparation physique et définis la répartition de la charge et des séances de préparation physique pour développer et optimiser des aptitudes physiques aux tâches multiformes du rugbyman. Je recueille des informations et observe les séances d’entraînements rugby (joueurs, contenus d’entraînement) pour gérer au mieux la charge d’entraînement. Enfin, je calibre les efforts réalisés et j’individualise au mieux le travail physique en fonction de plusieurs facteurs (état de forme, résultat, nombre de match, et monitoring).
Le Monitoring et suivi des joueurs : Je mets en place un suivi d’ »Etat de Forme » des joueurs dans le but d’adapter les contenus en préparation physique. Je gère la quantification de la charge d’entraînement à partir d’outils (échelle RPE / suivi charge prévue et charge réalisée). J’établis le suivi individuel et collectif des joueurs de l’équipe et j’assure le suivi du poids des joueurs avec le diététicien.
Les Composantes Préparation physique : J’anime et je conduis les séances de musculation ainsi que les séances de conditioning et course des joueurs valides pour donner les moyens de produire un haut niveau d’intensité sur la durée du match. Aussi, j’assure ou supervise les séances sur les composantes de la vitesse. Enfin je vieille à la récupération par l’application des protocoles.
Quel est le rapport avec le reste du staff ?
J’entretiens de bons rapports avec le reste du staff. Au Lou Rugby, je travaille avec 2 autres préparateurs physiques ; un en charge de la réathlétisation et un autre qui intervient sur la quantification de la charge de travail et le travail en salle de musculation. Je travaille également en étroite collaboration avec le staff médical et en particulier le kinésithérapeute référent pour individualiser au maximum la préparation physique en fonction du profil de l’athlète, du poste et des pathologies éventuelles. Avec les 2 préparateurs physiques et le kinésithérapeute nous faisons systématiquement une réunion une heure avant le premier entraînement de la journée pour définir avec précision le planning et les possibilités de travail pour chaque joueur de l’équipe et ensuite nous nous répartissons les interventions.
Peux-tu décrire une semaine type avec ton club ?
Je prends pour exemple deux matchs consécutifs se jouant le samedi. Le lendemain de match est une journée libre (dimanche), très importante pour l’équilibre personnel (famille, loisirs…).
Le lundi : La matinée est dédiée à la récupération à l’aide de soins avec les kinésithérapeutes et l’ostéopathe (30 minutes par groupe), et un protocole avec un complément de musculation légère avec des exercices d’étirements actifs pour favoriser la récupération. Pour les joueurs ayant joué moins de 40 minutes et les joueurs qui ne figuraient pas sur la feuille de match, une séance de musculation est programmé. Ensuite vers midi, les joueurs se retrouvent pour une séance collective de vidéo. Cette séance sert de débriefing du match précédent.
En début d’après-midi, toujours pour les joueurs ayant joué moins de 40 minutes et les joueurs qui ne figuraient pas sur la feuille de match, un « conditioning » est programmé avec un travail sur les composantes énergétiques, force et explosivité, sollicitant des aptitudes physiques aux tâches multiformes du rugbyman en fournissant des efforts que l’on retrouve en situation de match et qui collent à la réalité du jeu en enlevant le coté traumatisant de l’opposition et de l’affrontement (impacts/chocs). Le lundi est donc une journée qui permet de faire la transition entre le match passé et le match à venir.
Le mardi : trois unités d’entraînements sont programmées.
La journée commence à 10 heures. Les joueurs sont répartis en 2 groupes : les avants et les trois-quarts. Pendant qu’un des groupes travaille avec les entraîneurs sur du spécifique, l’autre groupe effectue une séance de musculation. Puis à 11 heures les deux groupes s’inversent. L’après-midi (14h30), les joueurs commencent par de la vidéo sur le jeu de l’équipe adverse (montages sur la défense adverse, avec discussions sur la stratégie à adopter) puis enchaînement sur le terrain pour une séance d’entraînement rugby. Cet entraînement est axé sur l’attaque. Souvent, en fin d’entraînement les avants et les trois quarts se séparent pour affiner les automatismes. En fin d’entraînement ou au cœur de celui-ci un travail énergétique peut être effectué en fonction de la programmation et du contenu de l’entraînement.
Le mercredi : Journée off pour les joueurs. De son coté, le staff sportif se retrouve pour une réunion sportive (avec les 2 entraîneurs, le kinésithérapeute référent, et moi-même) afin de faire le point sur l’effectif, le bilan des blessés, l’organisation des entraînements à venir dans le but de mieux gérer la fin de semaine et d’appréhender le travail et le planning de la semaine prochaine.
Le jeudi : 2 unités d’entraînement sont au programme sur une demie journée (en condensé) La matinée commence par une séance de musculation reposant sur un nombre de répétitions et de séries réduites, peu éprouvantes pour les joueurs en vue du match. Les avants commencent en premier puis transfèrent la musculation par un travail spécifique à l’activité (30 minutes) pendant que les trois-quarts font leur séance de musculation.
Vers 11 heures, tous les joueurs vont en vidéo (montages sur l’attaque adverse) puis enchaînement sur le terrain avec une séance d’entraînement rugby consacré à la défense. Lors de cet entraînement, l’opposition est raisonnée et le travail collectif est réalisé avec beaucoup de vitesse et d’intensité, et n’excède pas 1h10 (échauffement compris). L’après-midi est libre pour les joueurs. Les kinésithérapeutes sont à disposition des joueurs pour les soins. Les 3 préparateurs physiques profitent de cet après-midi pour faire une réunion et travailler sur les contenus.
Le vendredi : le galop du capitaine (team run) a lieu souvent en fin de matinée. En parallèle les joueurs qui ne sont pas sur la feuille de match font une séance de musculation plus un conditioning.
Le samedi : en général l’équipe à rendez-vous 1h30 avant la rencontre. Le match est précédé par un échauffement complet encadré par les préparateurs physiques. Après le match, j’observe et récolte des informations (état de fatigue des joueurs, sensations sur le match…). Et nous mettons en œuvre tous les moyens afin de récupérer le plus tôt et le mieux possible. La récupération englobe plusieurs processus qui n’ont pas tous la même durée (les plus long hors traumatisme important, peuvent aller jusqu’à 96 heures). Cependant, il est possible d’agir immédiatement dès la fin de la rencontre afin d’accélérer le retour à l’équilibre : en buvant, en s’alimentant, en glaçant et éventuellement en massant.
.Au club, tous les membres du staff ont le souci d’agencer les séances afin que les joueurs puissent s’entraîner et progresser. L’objectif primordial reste avant tout le match et à cette fin, tout est mis en place pour les rendre disponibles, frais et explosifs : en un mot performant pour le jour J.
Quel a été ton plus grand succès ?
Sans hésiter le titre de champion de France en 2007 avec le Stade Français de Fabien Galthié et Fabrice Landreau. Il y avait chez chacun, staff et joueurs, un désir de performance, de progression et c’était avant tout une équipe de compétiteurs avec des catalyseurs de victoire, symbolisé par Christophe Dominici, Augustin Pichot, Rodrigo Roncero ou Mick James. Je n’oublie pas, bien évidemment, Alex Marco avec qui j’ai eu la chance de travailler cette saison-là.