A seulement 25 ans, Xavier Dolan en est déjà à son cinquième long-métrage. Mommy, notre coup de cœur cannois en mai dernier, sort sur les écrans français le 8 octobre 2014. Notre avis.
Antoine-Olivier Pilon
C’était un jeudi. Les festivaliers, sous un ciel grisaillant, attendaient avec impatience devant les marches du palais des festivals, parapluie en main, la projection du nouveau film de Xavier Dolan. A seulement vingt-cinq ans, le jeune prodige dont une grande partie de la communauté cinéphile s’est entichée, est déjà auteur de déjà cinq longs-métrages.
Après un passage à la Quinzaine des Réalisateurs (l’autobiographique J’ai tué ma mère) et deux au Certain Regard (Les amours imaginaires et Laurence Anyways), Xavier Dolan concourrait cette année, à son grand bonheur, en sélection officielle. Au milieu des grands noms du cinéma d’auteur contemporains parmi lesquels on compte Ken Loach, Mike Leigh, Atom Egoyan, les frères Dardenne et même Jean-Luc Godard, le jeune Xavier Dolan a su tirer son épingle du jeu. La claque de ce 67ème Festival de Cannes, c’est en fait lui qui nous l’assénait. Elle faisait mal, laissant les joues rouges et les yeux embués, de par son style transcendé par la puissance de l’image, du son, et du scénario. Autant dire que si la baffe est douloureuse, elle revigore également et ne manque ni d’un certain humour, ni de délicatesse.
« Mommy », ou plutôt Diane Després (son vrai nom), c’est Anne Dorval, une veuve qui "hérite" de la garde de son fils, Steve, impulsif, violent, mais au fond attendrissant dans ses désordres et ses fêlures. Entre Diane et Steve, il y a des hauts, des bas … surtout des bas. Les tensions grandissent, à coup de noms d’oiseaux (les dialogues acides et incorrects sont parfois hilarants) ou à coups de poing (le fils souvent épris d’une violence incontrôlée) jusqu’à ce que Kyla, voisine des Després, fasse irruption dans leur vie. Une présence qui, contre toute attente, va rétablir l’équilibre et garantir l’harmonie au cœur du foyer ébranlé.
On a déjà vu la comédienne Anne Dorval dans les films de Dolan (J’ai tué ma mère, Les amours imaginaires et même Laurence Anyways). Mais dans Mommy, l’actrice québécoise explose tout. Excentrique, un peu folle, sans manières, Diane est en même temps revêtue de fragilité. En l’incarnant, Anne Dorval a su mettre cette facette en valeur et en faire la force de son personnage, qui, à son tour, devient attachant. Mais c’est aussi le jeune Antoine-Olivier Pilon, comédien que tout le monde s’arrachera probablement d’ici peu, qui crève l’écran. On l’avait déjà entraperçu dans le clip polémique College Boy, du groupe Indochine, dont Xavier Dolan avait déjà assuré la brillante réalisation. Cette fois, c’est son premier rôle dans un long-métrage, et on mise fort sur le fait que l’acteur ne tarde pas à percer, la sélection cannoise du mois de mai dernier ne pouvant que lui servir d’ascenseur.
Outre des acteurs exceptionnels, la mise en scène de Xavier Dolan atteint ici une maturité déconcertante. Le jeune cinéaste continue de coupler l’image et la bande-son pour donner un corps sensoriel au script. Ce qui pouvait peut-être gêner autrefois certains devient ici un atout évident, et propulse le résultat très loin dans les émotions.
Film d’esthète mais en même temps proche d’un public plus néophile, Mommy accorde forcément une place primordiale aux dispositifs artistiques, notamment la photographie, toujours aussi maîtrisée et signifiante chez son auteur. Dolan "écrit avec la lumière", et plus que jamais expérimente son style. Ici, la mise en scène innovante du jeune québécois retrouve un souffle nouveau, qui vivifie et revigore. Il emploie une nouvelle fois le ratio 1,33:1, toujours pour emprisonner ses personnages dans un format qui le fascine et qu’il utilise depuis Laurence Anyways. Ce manque d’espace à l’écran étouffe, étrique et suscite le malaise dans une famille déracinée, où la liberté, le bonheur et l’équilibre ont disparu probablement depuis la disparition du père.
Mais nous n’en dirons pas mot de plus, les trouvailles de mise en scène demeurant la clé de voûte de cette oeuvre plébiscité à Cannes, qui aborde parallèlement et sans tabous d’autres sujets chers au cinéaste, comme la lutte contre les discriminations et le malaise adolescent.
Récompensé au palmarès par le prix du jury (ex-aequo avec Godard), Mommy était notre palme du cœur, comme pour beaucoup. Encore accessible à un large public, il reste l’un des meilleurs films que l’on puisse voir au cinéma cette année, et dont on aurait tort de bouder.