Automne doucement ensoleillé, les feuilles jaunes et rousses au sol, elle avait traversé la rue, avec son sac et son manteau léger, sa main serrant fortement celle de son coeur. Deux femmes, un seul bonheur, elle revenait ici pour la première fois, libre peut-être de certaines pensées, éloignée de certains préjugés.
Etudiante, elle habitait ce quartier, celui de ses journées à l'université, puis dans cette école spécialisée, les sorties, mais aussi les petits boulots, serveuse ici dans ce café où elles entraient. Plus de trente ans déjà, une vie, plus d'une génération, elle avait nettoyé, frotté ce zinc, servi des centaines de cafés, de lait chaud, de thé earl grey. L'ambiance était plus simple que maintenant, devenu un bar lounge, des banquettes basses, des tables en terrasse, un coin plus bobo maintenant. Elle sourit, serrant toujours sa belle, réajustant les chaises pour être tout contre elle. Amoureuse depuis de nombreuses années, officieusement, officiellement, elle avait lutté pour pouvoir vivre sans le jugement des autres car ce n'était que le jeu de son coeur, rien d'autre. Pourquoi aurait-elle eu à justifier son amour, sa compagne car si la définition associée parlait de sexualité, elle n'y voyait que des sentiments envers une personne, rien de plus.
Alors aujourd'hui, depuis quelques jours, elle revenait dans un coin de passé, celui des premiers doutes justement sur ses émotions, les années de vie étudiante, de soirées festives, de rires et de sourires. Elle voulait partager les bonnes adresses du coin, lui montrer là où elle était devenu cette artiste, graphiste et plus tard directrice artistique. Une tranche de vie, ressortie du passé comme un parfum de madeleine, un doudou nostalgique.
Toutes les deux, elles resplendissaient, elles étaient heureuses, et avant de venir remplir leurs tasses de thé vert, elles avaient passé leur temps dans les boutiques pour dénicher de belles robes. Blanches ou pas, elles hésitaient encore, alimentant de détails, de notes et de photos sur leur tablette, leurs choix possibles. Deux robes pour un mariage, pour une union de bonheur et d'amour. Vintage avec des retouches actuelles ? Sobre avec des embellissements de couleur, comme ce petit corset underbust aperçu plus haut dans cette minuscule boutique ? Robes longues de style bôhème ou graphique ? Jupons froufroutant ? Elles papotaient, avec de gros pincements au coeur, leurs mains ne se lâchaient plus.
Elle regardait la rue, différemment depuis cette table, cette nouvelle organisation de salle, apercevant son plateau, les verres, la monnaie, le bar. Souvenirs et puis cette réalité, ce bonheur nouveau, du moins avec cette décision, avec cet espace où elles étaient sereines, assumant leurs sentiments l'une envers l'autre. Il faisait beau, des rayons de soelil d'automne, chaud, vibrant des couleurs des feuilles à l'extérieur, un peu de vent, une certaine quiétude.
Tout proche, dans cette grande salle, un vieil homme seul, apparemment perdu dans ses pensées vidait sa tasse, plus loin un quinqua avec une jeune femme qui parlait sans s'arrêter, en pleine déclaration peut-être, une autre table, une robe longue pour une ravissante blonde, juste de dos, elle semblait consulter l'heure sur son portable, elle attendait probablement quelqu'un. Un homme ? Une femme ?
La tasse de thé, les lèvres chaudes, toutes les deux, face à cette salle vivante, s'embrassèrent simplement, amoureusement.
Nylonement