Michel Granger © 2002
Les relations humaines ne sont décidément pas faciles. Pour la deuxième fois de ma vie, je me suis fait « jeter » dernièrement tout simplement parce que je n’avais pas eu l’attitude et/ou le comportement attendus par la personne qui déclarait me faire confiance. Il est possible, dans les deux cas, que je n’aie pas été à la hauteur de la situation et que je me sois comporté comme un goujat. Je n’exclus pas cette possibilité, même si je n’y crois pas trop. Finalement, j’ai simplement été moi-même.
De manière très explicite, dans les deux cas, le seul vrai reproche qui m’était fait était de ne pas avoir été celui qui était espéré. En d’autres mots, on ne me reprochait pas vraiment d’être ce que je suis, mais surtout de ne pas être ce que je ne suis pas. Et qu’on voudrait que je sois ! Il y a là une logique que j’avoue ne pas trop comprendre. Pourquoi devrais-je correspondre à l’image idyllique que l’autre estime bonne pour moi ? Comment peut-on me reprocher de ne pas être le modèle attendu, façonné par l’autre ?
Lorsque je me suis marié, le célébrant qui me connaissait bien a dit à celle qui allait devenir ma femme : « Surtout, n’essaie pas de le changer tel que tu le voudrais. D’autres s’y sont essayé, sans succès ». Plus de trente ans plus tard, je n’ai jamais senti le moindre essai de la part de ma femme de me transformer pour que je corresponde à une image virtuelle qu’elle se serait faite de moi. Elle m’a simplement accepté tel que je suis, tout comme je l’ai acceptée telle qu’elle est. Nous sommes toujours ensemble, heureux de l’être et sans doute plus amoureux aujourd’hui que nous ne l’étions lorsque nous avons décidé ensemble d’aller plus loin. N’est-ce pas là la recette miracle de l’amour qui perdure ?
Bien sûr, il est logique qu’on se détache d’un ami avec lequel on n’aurait plus rien à partager. Ni l’amitié ni l’amour ne sont éternels. Et quand il n’y a plus de partage possible, les liens s’estompent. Si en matière d’amour, cela passe sans doute par des ruptures, est-ce également le cas en ce qui concerne l’amitié ? Est-il nécessaire – comme dans un bac à sable – de dire « Tu n’es plus mon ami ! » ? Ne peut-on pas laisser la relation se déliter par elle-même ? En ne fermant pas toutes les portes à venir. Mais en s’effaçant progressivement, peut-être parce que simplement on ne détient pas nécessairement la vraie vérité de la relation.
À vrai dire, je n’ai pas la réponse à ces questions. Toute relation est complexe. Et la complexité ne peut pas se modéliser dans une apparence artificielle de simplicité. Il n’empêche que je suis convaincu que vouloir que l’autre corresponde exactement à l’image que l’on s’en fait est une démarche aberrante et fondamentalement égocentrique. Si je prends un peu de recul, je me dis que n’avoir été confronté qu’à deux situations de ce style est finalement une chance : il est fort possible que la plupart d’entre nous rencontre bien plus souvent ce type de conception de l’amitié ! Et en subisse les conséquences. Car si celui ou celle qui « jette » l’autre parce qu’il n’est pas le rêve espéré doit certainement en souffrir, imagine-t-il/elle une seule seconde la souffrance de celui qui se fait jeter simplement parce qu’il est ce qu’il est, un être humain, en toute sincérité ?
Si seulement nous pouvions nous accepter, tous et toutes, tels que nous sommes, sans vouloir façonner l’autre à notre image…