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21 SEPTEMBRE 2014 | PAR MARTINE ORANGEAu lendemain de son discours de politique générale, Manuel Valls a annoncé la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu. La mesure, annoncée dans la précipitation, est censée soutenir le pouvoir d’achat des Français moyens. Elle aggrave surtout les tendances d’un système fiscal de plus en plus injuste et inefficace. Décryptage.Cet article est en accès libre.
Cela a des allures de bricolage sur un coin de table. Alors que le premier ministre avait tenu la veille son grand discours de politique générale devant l’Assemblée nationale et n’en avait soufflé mot, Manuel Valls annonçait tout à trac, le lendemain matin 17 septembre sur France Inter, la suppression de la première tranche d’impôt sur le revenu, celle à 5,5 %, « pour redonner du pouvoir d’achat à nos compatriotes ».
"Je donne rendez-vous aux Français l'année... par franceinter
"Je donne rendez-vous aux Français l'année prochaine sur leur feuille d'impôts" Manuel Valls
Le Premier ministre, Manuel Valls, est l'invité de Patrick Cohen au lendemain de son discours de politique générale devant l'Assemblée nationale. Il obtient certes la confiance du gouvernement mais désormais il devra composer avec une majorité étriquée.Cette annonce en a surpris plus d’un. François Bayrou parle d’une « improvisation absolument incroyable et inimaginable ». Mais même au sein de la majorité, la manière du premier ministre dérange. « Je suis étonné par la façon dont elle a été annoncée au lendemain du vote de confiance et à la veille du discours présidentiel », relève le député PS Pierre-Alain Muet. Jeudi 18 septembre, François Hollande confirmait en quelques mots le projet de fiscalité annoncé par le premier ministre.Pour les familiers du pouvoir, le dispositif imaginé relève de la grande tradition technocratique, désormais bien installée, où des cabinets ministériels et la haute administration moulinent dans la précipitation une mesure pour permettre au ministre de l’annoncer. En l’occurrence, il s’agissait de trouver la réplique au veto du Conseil constitutionnel, en août, sur l’allégement des cotisations sociales pour les salariés touchant entre 1 et 1,3 fois le Smic, afin d’envoyer des signaux aux ménages les plus modestes et aussi à une partie de la majorité. « Il faut en finir avec les annonces qui contribuent à compliquer le système et confirment que Bercy ne maîtrise plus la machine à produire de la législation fiscale », dénonce le député frondeur socialiste Christian Paul. Une analyse que partage un expert des questions budgétaires et fiscales, habitué de Bercy. « Ces annonces successives finissent par créer une immense confusion. La politique budgétaire et fiscale est devenue incohérente et illisible. Le gouvernement, pris dans trop de contradictions, ne cesse de faire une politique de stop and go, augmentant les impôts puis les diminuant, prenant des mesures avant de les annuler. Les Français n’y comprennent plus rien », dit cet expert des questions fiscales et budgétaires. Décryptage.QUI EST CONCERNÉ PAR LA SUPPRESSION DE LA PREMIÈRE TRANCHE DE L’IMPÔT SUR LE REVENU ?La tranche d’impôt de 5,5 % concerne la part fiscale des revenus compris entre 6 011 et 11 991 euros. Le gouvernement a décidé de supprimer cette tranche et de refondre la grille d’entrée dans l’impôt. Cette mesure devrait bénéficier mécaniquement à tous les contribuables : qu’elles soient imposées au taux de 14 %, de 30 %, de 41 % ou de 45 %, les personnes ne devraient pas être taxées sur la partie de revenus comprise dans cette première tranche.Le gouvernement, toutefois, entend réserver cet allégement aux ménages allant jusqu’à la tranche de 30 %, soit au plafond à 26 764 euros par part fiscale. Plusieurs mécanismes ont donc été imaginés pour redéfinir les tranches fiscales et réserver l’allégement aux ménages moyens. Le seuil d’entrée de la tranche des 14 % devrait être abaissé, passant de 11 967 euros à 9 690 euros, ce qui permettrait de reprendre une partie des revenus censés échapper à l’impôt. Dans le même temps, afin d’éviter un effet de seuil trop grand, les ménages passant de 0 à 14 % directement pouvant en être lourdement pénalisés, un mécanisme de lissage devrait être créé, prévoyant une décote de 350 euros pour un célibataire et de 700 euros pour un couple.Selon le ministère du budget, cette suppression de la tranche de 5,5 % devrait bénéficier directement à 3 millions de ménages qui devraient ne plus être imposés ou ne pas le devenir. 6 autres millions de ménages devraient voir leur impôt diminuer. Au total, la mesure devrait concerner 9 millions de ménages pour un coût estimé de 3 milliards d’euros, selon les calculs du ministère du budget. Mais ce dispositif ne devrait rien coûter aux autres contribuables. « À revenu équivalent, leur impôt restera identique », assure le ministère. Le président de la République a réitéré cet engagement lors de sa conférence de presse.QUEL EST LE BUT DE CETTE RÉFORME ?Bousculé par sa majorité lors de la discussion sur le pacte de responsabilité, le gouvernement avait voulu faire un geste pour montrer qu’il ne se souciait pas seulement des entreprises mais aussi des salariés. Il avait été prévu que les salariés touchant entre 1 et 1,3 fois le Smic bénéficieraient d’un allégement de leurs cotisations salariales. Le Conseil constitutionnel a mis son veto, début août, sur ce dispositif, estimant qu’il s’agissait d’une rupture d’égalité. Le gouvernement avait alors promis de trouver d’autres mécanismes pour redonner du pouvoir d’achat aux salariés. Il avait alors évoqué une possible fusion entre le RSA et la prime pour l’emploi afin d’aider les ménages les plus modestes. Cette mesure semble être tombée dans les oubliettes. Plus personne n’en parle. Officiellement, il est encore « trop tôt », selon le ministère du budget, pour savoir si elle sera mise en œuvre ou non.Le premier ministre lui a préféré, au moins pour l’instant, un allégement fiscal. Une façon de reconnaître en creux que le marasme économique actuel de la France n’est pas seulement lié à un problème d'offre, mais aussi de demande, le pouvoir d’achat des Français ne cessant de baisser depuis dix ans.La mesure a un double mérite : elle s’apparente au modèle imaginé par le président du Conseil italien, Matteo Renzi, devenu l'une des références du gouvernement français, qui lui aussi a adressé un chèque aux ménages modestes et moyens imposés afin de leur restituer un peu de pouvoir d’achat. De plus, elle peut être rapidement être mise en œuvre, en frappant les imaginations. « Pour un retraité à 1 400 euros par mois de pension, ce sera 230 euros d'impôt sur le revenu en moins et, depuis 2013, 330 euros » ; pour un couple salarié avec trois enfants gagnant 4 200 euros par mois à deux, « ce sera plus de 1 100 euros de baisse d'impôt », a expliqué Manuel Valls.« En soi, dans la conjoncture actuelle, il n’est pas inopportun de soutenir les ménages modestes. Mais que fait-on pour tous ceux qui ne paient pas l’impôt sur le revenu? », s’interroge Pierre-Alain Muet. En privilégiant la suppression d’une tranche d’impôt à une refonte du RSA, le gouvernement fait un choix très clair : il décide de soutenir les ménages moyens, repoussant à plus tard – peut-être aux calendes grecques – l’aide aux plus pauvres, ceux qui ne sont pas soumis à l’impôt, au moment où il y a plus de huit millions de personnes en France vivant en dessous du seuil de la pauvreté.