d'après RENCONTRE de Maupassant
Ce fut un hasard,
Un vrai hasard.
Le baron Guy de Moret,
Fatigué et assuré
Que sa femme ne voudrait pas
Quitter le bal si tôt,
Chercha un lit où se reposer
Et entra dans une des chambres du château.
Dans le reflet du miroir mural, il aperçut
Un homme assis sur un sofa
Embrassant une femme à demi-dévêtue.
Il reconnut son épouse quand elle se leva,
Moret lui dit : -« Ne t’explique pas ;
Nous allons nous séparer sans bruit.
Mon notaire règlera notre situation
Selon mes instructions. »
Sur ces mots, plus étonné que malheureux,
Le baron rentra chez lui.
Sa femme, il l’avait aimée
Mais son ardeur s’était refroidie peu à peu.
Avec plus de charme que de beauté,
Elle était mince et élégante.
Elle avait vingt-huit ans, et lui, cinquante.
Afin d’éviter des rencontres inopportunes,
Le baron quitta Paris sans rancune.
Et voyagea pendant un an.
Puis il passa l’été dans le Morbihan,
Partit chasser trois mois chez des amis.
Se fit inviter en Normandie
Par différentes relations
Puis entreprit la restauration
De son château de Malvent,
Dans le Jura.
Mais en janvier, il prit froid,
Il toussait tellement
Que son médecin lui ordonna
D’aller finir l’hiver à Menton.
Du Jura,
Il prit le train pour Paris.
À Paris, il se fit conduire gare de Lyon.
Il monta dans le Rapide et s’assit
En face d’une femme déjà installée.
Il ne put la voir distinctement
Car son visage était dissimulé
Par la voilette de son chapeau.
Il la salua poliment.
Elle ne répondit pas. Il ne lui parla pas.
Et bientôt, il s’endormit.
Au petit matin, sa voisine se leva.
Elle lui parut grasse mais jolie.
Le baron aurait juré que c’était…
Sa femme, mais changée, plus en beauté.
Depuis deux ans et plus
Qu’il ne l’avait pas vue,
Il pouvait se tromper.
Mais non. Comment a-t-il pu hésiter ?
Il la trouvait désirable,
Infiniment désirable.
Elle avait un air radieux.
Il avait sa femme devant les yeux
Mais dans un corps nouveau.
Seuls avaient changé sa taille, ses cheveux, sa peau…
-« Berthe, n’avez-vous besoin de rien ? »
Elle le regarda avec indifférence :
-« Non, merci. Rien. »
-« Puisque le hasard nous met en présence
N’est-il pas préférable de causer
…En amis, jusqu’à l’arrivée ? »
-« Comme vous voudrez. »
-« Vous ne vous figurez
Pas comme vous avez gagné depuis deux ans. »
-« De vous, je n’en dirai pas autant.
. Vous avez beaucoup perdu. »
Le baron rougit, troublé et confus :
-« Vous êtes dure, ma chère femme ! »
-« Vous vouliez me déclarer votre flamme ?
Sachez que vous m’êtes indifférent
Et étranger, définitivement. »
Un désir brutal l’envahit :
-« J’ai changé d’avis.
Je veux que vous reveniez aujourd’hui
Sous mon toit.
Je suis votre mari,
C’est mon droit. »
-« Non. J’ai des engagements. »
-« La loi me donne la force. J’en userai. »
Le train s’arrêta brusquement :
’’Marseille. Dix minutes d’arrêt.’’
La baronne se leva
-« Guy, ne vous abusez pas.
Ce tête à tête, je l’avais organisé.
Et j’ai pris une précaution :
Les amies qui m’attendent sur le quai
Ne se douteront pas de notre situation.
Ses amies lui tendirent les bras
Pour l’embrasser.
-« Vous reconnaissez Guy, n’est-ce pas ?
Il m’a accompagnée.
Mais ici, nous nous quittons.
Lui, poursuit jusqu’à Menton. »
Et la baronne sauta sur le quai
Au milieu de celles qui l’attendaient.