Madamede Jean-Marie Chevrier 3/5 (16-09-2014)
Madame (208 pages) est paru le 20 août 2014 aux Editions Albin Michel.
L’histoire (éditeur) :
C’est une étrange éducation que Madame, veuve excentrique et solitaire, s’obstine à donner au fils de ses fermiers dans un lointain domaine menacé par la décadence. Que cherche-t-elle à travers lui ? Quel espoir, quel souvenir, quelle mystérieuse correspondance ?
Curieusement, le garçon accepte tout de cette originale. Avec elle, il habite un autre temps que celui de ses parents et du collège. Un temps hanté par l’ombre de Corentin, l’enfant perdu de Madame.
C’est dans ces eaux mêlées que nous entraîne l’écriture secrète, raffinée, et cruelle jusqu’à la fascination de Jean-Marie Chevrier.
Mon avis :
Madame de la Villonière s’attache à donner à Guillaume, le fils des fermiers qu’elle emploie, une éducation. Poésie, littérature, mathématique, conjugaison (et ce fameux accord du participe avec l’auxiliaire avoir !) et règles de bienséance viennent occuper le reste du quotidien classique de cet enfant de bientôt quatorze ans, qui en plus de l’école donne de temps en temps un coup de mains à ses parents dans leur travail. Pourquoi donc accepte-t-il tout de cette vieille femme sèche et autoritaire ? Les relations qui lient le garçon à cette veuve solitaire sont étranges et difficilement compréhensibles. Entre cruauté, amour et dévouement, Madame semble plus qu’attachée à l’enfant qu’elle renomme même Willie.
Madame est un court roman (le dixième de l’auteur) qui possède une atmosphère toute particulière. Il emprunte d’abord la tension, les rapports entre les personnages si particuliers, les non-dits et les confrontations du huis-clos. Quant à l’intrigue, si elle se déroule clairement à notre époque (console, TV, cigarette et quelques marques sont évoqués de façon nette et précise), tout laisse pourtant penser (le personnage de Madame, Alexandrine l’ancienne bonne, la bâtisse, gentilhommière située dans la Creuse…) qu’elle s’inscrit plutôt dans une cadre passé hors d’âge, un autre temps qui n’aurait jamais évolué, ou seulement pour tomber en décrépitude. Cette ambiance accentue l’étrangeté des liens entre Madame et Guillaume, alias Willy. Les parents du jeune homme s’inquiètent d’ailleurs eux aussi. Humiliés et pris pour du personnel un peu simplet, ils ne manquent pas pour autant de s’agacer de voir cette femme stricte et exigence mettre le grappin sur le fils, tout autant que celui-ci de ne quitter les jupons de cette vieille folle. Et pourtant, Guillaume est loin d’être aussi naïf qu’il y paraît et sait que cette lourde porte noire (aux serrures toujours fermées et qui le hante) détient la réponse aux agissements de cette femme.
Madame est un livre mystérieux qui montre les dommages qui peuvent advenir avec la perte d’un enfant. Car Madame ne s’est véritablement jamais remise de la mort de Corentin, son fils mort le jour de ses 14 ans. Alors quand l’anniversaire de Guillaume approche, elle y voit certainement une chance… de quoi ? De le façonner pour retrouver celui qu’elle a perdu il y a 14 ans ? Pour accepter et dépasser cette mort tragique ? Alors que ces deux personnages n’ont absolument rien en commun, ils trouvent pourtant un terrain d’entente jusqu’au dénouement final inattendu (et pour le moins étrange). Madame est un roman inquiétant où les relations peu claires (qui manipule qui ?) et les souffrances à peine perceptibles laissent entrevoir une folie douce qui fait croître le malaise.