Lundi soir, j’ai regardé, comme chaque lundi (oui, ma vie est une routine rodée et triste à mourir de monotonie), Criminal Minds, cette série américaine sur les profilers du FBI. A la télé, le FBI est super fort, pas comme dans la vraie vie. Mais cette série est assez noire et violente, probablement car elle puise ses histoires dans les faits divers.
L’épisode de lundi (je n’en regarde qu’un, après, la télé me gonfle vraiment, faut pas abuser des bonnes choses) parlait d’un homme qui a perdu son fils, mort d’étranglement dans un jeu stupide alors qu’il avait failli à sa surveillance l’espace d’un instant. Puis sa femme l’a quitté. Le pauvre homme en a perdu son âme et s’est transformé en tueur en série.
Outre la violence de ses crimes, on s’aperçoit en réalité que tous ses actes, dans son esprit dérangé, n’avaient pour seul but de se persuader qu’il pouvait assumer ses responsabilités de père. Et oui, ce malade mental pensait punir les gens qu’il tuait afin de les « éduquer » car il agissait mal. Comme un bon père qui remet son fils dans le droit chemin.
Lors du dénouement, même si de tels actes sont bien entendu inacceptables et intolérables, je n’ai pu toutefois réprimé une certaine peine pour cet homme, ou plutôt devrais-je dire ce personnage imaginaire. Il ne mérite bien entendu aucun pardon autre que le pardon divin qui dépasse largement les capacités d’empathie humaine. Mais, au fond de moi, j’ai malgré tout ressenti la peine que ce personnage, s’il avait existé, aurait pu ressentir après la perte de son fils. La perte d’un enfant, cet être cher et innocent, est une peine insurmontable à de nombreux égards. Chacun réagit à sa manière et même si le crime n’est pas pardonnable, la souffrance peut mener à des comportements irrationnels.
Ce qu’il en ressort c’est surtout un grand gâchis, des vies détruites et une culpabilité qui peut mener bien loin, parfois trop loin malheureusement.
Bref, triste à dire, mais cela m’a fait réfléchir. Il faut bien avouer que je ne réfléchis pas trop au bureau, j’ai donc de la réserve pour le soir quand je rentre. J’avoue que réfléchir à la vue d’une série télé a son côté pathétique. Mais j’assume. Je fais ce que je peux avec mon neurone.
Je n’ai pu, quelque part, lutter contre une sorte de compréhension quant à la difficulté à lutter chaque jour contre ces sentiments refoulés de culpabilité et d’impuissance. Pour ce qui me concerne, je n’ai rien pu faire pour sauver mes jumeaux, pour protéger la femme de ma vie, moi, le père de famille, le patriarche qui se doit d’être un protecteur pour toute sa famille. Cette culpabilité me ronge chaque jour que Dieu fait.
Sans le soutien inconditionnel de ma femme, sans sa compréhension et son respect pour ma manière de faire mon deuil, je ne sais pas ce que je serais aujourd’hui. Sans dire que je serais devenu un psychopathe tueur incontrôlable de toute personne qui agirait mal (j’aurais trop de boulot d’ailleurs…), ma vie pourrait être finalement ruinée, enfin, encore plus que ce qu’elle est aujourd’hui. J’aurais pu perdre ma femme, déjà que je me demande pourquoi elle est avec moi, depuis maintenant plus de 10 ans (ce doit être cela dont parle Père Louis quand il exprime ce dogme selon lequel les voies du Seigneur sont impénétrables), j’aurais pu perdre mon boulot (je ne comprends d’ailleurs pas comment ni pourquoi je suis apprécié au travail, encore un mystère), me fâcher avec ma famille (bon, ok, ça c’est fait en partie déjà, mais sans regret, aucun). J’aurais pu sombrer dans la dépression chronique là où je m’en sort avec une simple dépression tout ce qu’il y a de plus classique, j’aurais pu sombrer dans l’alcool si j’avais encore l’âge (et le foie) des beuveries de ma jeunesse et encore du stock de vodka de mon mariage, là où je carbure finalement au jus de pomme, j’aurais pu me noyer dans le travail et répondre aux appels de mes anciens collègues avocats qui ont essayé de me faire revenir dans cette prison qu’est le cabinet d’avocat « d’affaires », là où je trouve mon équilibre entre l’intérêt du travail et une vie personnelle en dehors du boulot.
Sans la compréhension et la discrétion de quelques personnes de mon entourage, j’aurais pu me contenter de ce sentiment d’être incompris face à cette souffrance quotidienne, ce vide dans mon foyer, ce calme parfois insupportable parfois refuge indispensable à une paix intérieure difficile à trouver en dehors de l’heure de messe dominicale où la prière m’apporte une heure de répit dans la semaine.
Aussi bizarre que cela puisse paraître, cette fiction m’a touchée, non pas par la violence exacerbée, mais par la violence des émotions qui peuvent conduire à la ruine de l’âme. Au moins, j’ai pu relativiser, c’est toujours ça de gagné.
Et puis, il me reste encore ma femme, sa douceur éternelle et sa compréhension la plus totale. Sans compter que le chat conserve sa place de centre d’intérêt du foyer. On va finir vieux couple qui ne parle que de son chat, montre des photos à ses amis et sa famille qui, sortant d’un dîner horrible chez nous, diraient « les pauvres, ils ne parlent que de leur chat, c’est triste non? ».