Revue de livre par Gaspard Koenig via le
blogue de Joanne
Marcotte
Le livre à emmener en vacances, ne serait-ce que pour être
sûr que personne ne vous le chipe sur la plage, c’est The Fourth
Revolution, publié récemment par deux journalistes de The Economist, John
Mickelthwait (rédacteur en chef) et Adrian Wooldridge. Cet essai à l’anglaise,
qui mêle expériences personnelles (telle qu’une rencontre avec Milton Friedman
dans un sauna californien…), interviews et culture livresque, est la réflexion
la plus fine et la plus synthétique que l’on puisse lire sur les douloureuses
mutations en cours dans le monde occidental.
Après l’Etat-nation du XVIIe siècle, l’Etat laisser-faire du
XIXe et l’Etat-providence du XXe, nos Etats devenus obèses, insatiables et
capricieux sont en crise. Voici donc venu le temps de la quatrième révolution,
celle d’un Etat restreint et intelligent, concentré sur le cœur des fonctions
régaliennes, favorisant l’autonomie individuelle tout en régulant les nouvelles
formes de coopérations. Les ingrédients sont là, épars à travers le monde.
Prenez les écoles autonomes au Royaume-Uni, la libéralisation agricole en
Nouvelle-Zélande, la réforme des retraites en Suède, les « sunset clauses »
(durées de péremption) attachées aux lois dans certains Etats des Etats-Unis,
l’e-gouvernement au Danemark, la formation des élites en Chine, la fonction
publique (réduite mais compétente et bien payée) à Singapour, et le fordisme
hospitalier en Inde ; mélangez, testez, gouvernez, et vous aurez la société de
demain.
Les expérimentations ne manquent pas, y compris sur le Vieux
Continent, de la « big society » britannique à la « société participative » au
Pays-Bas en passant par la « génération numérique » de Matteo Renzi. Mais il
reste encore à trouver la philosophie d’ensemble de ces transformations, tant
il est vrai que ce sont les idées qui changent le monde. Celles de Hobbes, JS
Mill, Beatrice Webb ou Milton Friedman, auteurs abondamment cités ; mais aussi,
dois-je ajouter par patriotisme, celles de Condorcet, Tocqueville, Bastiat et
Deleuze. Pour ne rien gâcher, on trouve dans The Fourth Revolution assez
d’anecdotes pour désarmer les pires collectivistes. Saviez-vous que, selon
Keynes lui-même, les dépenses publiques ne devraient jamais dépasser un quart
du PIB ? Que Beveridge s’inquiétait d’un système d’allocations qui finirait par
décourager le travail ? Que Dickens avait imaginé, dans Little Dorrit, un
« bureau de la circonlocution » incarnant les pires travers de la bureaucratie ?
Que le point de bascule du mouvement de réforme suédois fut la « marche des
cent mille hommes d’affaires » sur le Parlement ? Le pays qui, le premier,
conceptualisera et accomplira pleinement cette quatrième révolution, deviendra
le référent naturel du progrès historique. Souhaitons que, après une
banqueroute et quelques émeutes, ce soit la France, exécrable pour les
réformes, mais généralement assez douée pour les révolutions.