« Un petit vélo dans la tête » est une expression, jusqu’alors inconnue de moi, qui désigne une aimable folie, une douce névrose ou une originalité incomprise. Cette définition permet d’apprécier la justesse du titre, car il faut être un peu fou pour descendre la côte ouest de Vancouver à la Terre de feu sur une bécane déglinguée, expédition que Mathieu Meunier a entreprise sans l’ombre d’un scrupule. Pas besoin d’avoir des dons de voyance pour prédire que le parcours sera jonché de pépins – et même de gros noyaux. Le lecteur réalise au fil des pages que cela fait partie de l’expérience et que le cycliste n’aurait pas tiré autant de plaisir s’il avait été parfaitement équipé. Le côté bohème occupe une place importante dans le propos, le voyageur nous faisant part de son peu de moyens, comptant régulièrement son pécule, devant coucher à la belle étoile le plus possible, n’ayant parfois même pas les moyens de s’offrir une chambre de motel miteux.
Le récit se présente en de brefs textes traités comme des chroniques pour ainsi dire autonomes en soi, tellement le message humoristique y tient une place prépondérante et que les boucles de la fin sont toujours habilement nouées. J’ai senti la ferme intention de l’auteur d’amuser son lecteur. Mission accomplie, particulièrement au départ, où je m’extasiais devant l’esprit fin et intelligemment tourné du narrateur. À la longue, j’ai commencé à m’essouffler en même temps que les pneus se dégonflaient, subtilement mais sûrement, et mon sourire s’est fait plus rare.
Par contre, j’étais portée par l’espoir que le vélotouriste trouve un sens à son voyage et le partage avec moi. Il fallait avant dénicher où se cache Soyouz qui avait signé les notes trouvées dans une édition usagée des Portes de la perception acheté dans une bouquinerie en cours de route. Dans les voyages en duo – lecteur/auteur ici –, il faut veiller à ce que l’ennui ne s’installe pas; cette mystérieuse femme a sauvé quelques tête-à-tête un peu stériles.
Mathieu Meunier a une perception ultra lucide (ou sévère ?) de sa personne : comment un roux au teint béluga, aux mains minuscules, sans aucun sens pratique ni habiletés manuelles dignes d’un vrai gars, a-t-il su se rendre jusqu’à 30 ans? C’est devant cette sentence de la page 167 que la lectrice que je suis s’est demandé : comment une bécane mauve qui déraille régulièrement, aux rayons de roues instables, sans support à bagage adéquat, ni pneus résistants a-t-il pu se rendre jusqu’au Mexique ?
Le message est devenu limpide pour moi : ce n’est pas le véhicule, corps ou vélo, qui fait le voyage, c’est l’esprit qui le chevauche.
Un vélo dans la tête
Mathieu Meunier
Éditions Marchand de feuilles, 2014
234 pages