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Naissance des Pieuvres, de Céline Sciamma

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Pour un sujet sur l’adolescence, il semblait essentiel de rappeler à notre souvenir le premier film d’une jeune réalisatrice, alors à peine sortie de la Femis. Naissance des Pieuvres, réalisé en 2007, par Céline Sciamma reste certainement, plus de sept ans après sa sortie sur les écrans, comme LA référence française du genre de ces dernières années. Ayant éclipsé depuis longtemps son concurrent de l’époque (Et toi t’es sur qui ? de Lola Doillon), le film de la jeune réalisatrice était alors une belle promesse d’avenir, tenue depuis avec le très beau Tomboy.

© Haut et Court

© Haut et Court

Incarnant magnifiquement ce cinéma qui pose radicalement la question de la recherche de l’identité, tout en gardant la volonté de présenter sa problématique de la manière la plus réaliste possible, Céline Sciamma, en deux films, s’est fait une solide réputation d’étoile montante du cinéma français. Cette réputation est d’autant plus vraie que son dernier film, Bande de Filles, sortant très prochainement, et qui traite toujours de cette quête de soi, après s’être fait remarqué à Cannes, est certainement l’un des films français les plus attendus de la rentrée. 

Ces « pieuvres » qui « naissent » pendant le film sont trois, trois jeunes filles, toutes aussi différentes les unes que les autres : la séductrice, femme fatale qui étend ses tentacules et tient sous sa coupe (Floriane, premier rôle d’Adèle Haenel au cinéma), la fragile et timide qui ne cesse d’avancer avant de se rétracter soudainement (Marie, jouée par Pauline Acquart), et celle qui n’a pas encore vraiment grandi, se sentant mal dans sa peau et crachant finalement son encre pour se défendre (Anne jouée par Louise Blachère).

C’est en assistant au spectacle de natation synchronisée de son amie Anne, que Marie voit pour la première fois Floriane, véritable icône du club, capitaine de l’équipe des benjamines. Fascinée, elle essaiera de s’inscrire aux cours, puis suivra Floriane qui la fera assister aux séances d’entraînement et aux concours du week-end. Petit à petit, Céline Sciamma installe une relation étrange entre les deux jeunes filles. Sous couvert de lui avoir rendu service, Floriane utilise Marie comme excuse pour sortir aller voir en douce François, son petit ami du moment, et Marie, si elle se déclare vite contre l’idée d’être la manipulée de service, tombe sous le charme de la jolie blonde. Il est intéressant de voir comment Sciamma choisit et dirige ses actrices : aussi petite et maigre qu’est Marie, Floriane est grande, belle, lascive (jamais d’ailleurs, Haenel ne l’aura été autant). 

La séduction et la fascination : tels sont les deux variantes que développe judicieusement la jeune réalisatrice. Elle fait le choix intelligent, radical, de traiter son récit exclusivement au travers des points de vues de ces jeunes femmes dont elle raconte l’histoire. Marie et sa fascination pour Floriane d’un côté, Anne et son amour exagéré pour François de l’autre. Excluant complètement la présence des parents, ou encore le point de vue des jeunes hommes qui entourent ses héroïnes, Sciamma prend le parti de ne traiter l’histoire que par le biais de l’intime, de la sensation, de l’émotion, expulsant par la même toute considération sociale, évitant allègrement le sujet de société vers lequel aurait pu déboucher son propos.

Ici, point de coming out de Marie, mais seulement une obsession inconsidérée et tout ce qui va avec quand il s’agit d’une obsession adolescente dictée par la propension à l’exagération qu’induit l’âge adolescent. Marie fouille les poubelles de Floriane et mange un trognon de pomme traînant là ; Anne, plus imaginative, enterre son soutien-gorge devant la maison de François, emprunte le chien de sa voisine pour le balader devant chez lui et provoquer une rencontre. Sans jamais tomber dans le glauque, Sciamma montre simplement qu’à ne pas vraiment savoir ce qu’elles sont, qui elles sont, ces deux adolescentes peuvent agir avec incohérence.

© Haut et Court

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Cette simplicité, on la retrouve dans la mise en scène de Naissance des Pieuvres. Loin d’être un défaut, c’est justement ce qui en fait un film de qualité. Sans jamais entrer dans une scénographie complexe et sophistiquée, Céline Sciamma reste proche de son sujet et évite globalement toute symbolique ou métaphore qui pourrait paraître trop simpliste. Même la piscine, lieu central de toutes les rencontres qui tissent le récit du film, indéniable métaphore de la dimension maïeutique de ce dernier, évite cet écueil d’une trop grande symbolique. En effet, si elle en fait le lieu central de l’action du film, Sciamma l’alterne avec subtilité avec d’autres lieux (comme la chambre de Marie). 

Les écueils, Céline Sciamma les évite ainsi pendant tout le film. Tout en étant réaliste dans son approche de l’adolescence, par son choix d’éviter la caractérisation de ses personnages par une logorrhée verbale habituelle du genre, de ne traiter son sujet uniquement au travers du point de vue de ses protagonistes, et surtout par ses choix de mise en scène, la réalisatrice évite astucieusement un naturalisme trop prononcé qui aurait alors plombé le film.

Car le charme de Naissance… réside surtout dans les petits détails scénographiques, dans certaines séquences remarquables, dans le choix de la couleur, de la musique… qui, sans être trop arty, trouvent toujours un ton cinématographique à la fois juste et original, toujours à la limite de la réalité et du fantasme, de l’image objective et de l’image subjective. La recherche du film autour de la couleur, par exemple, est remarquable en bien des points. Sans jamais, encore une fois, tomber dans le défaut d’avoir des univers de couleur primaire (ici bleu et rouge) trop symbolistes, la réalisatrice les travaillent comme les bases de la transition du monde innocent de l’enfance vers le monde compliqué de l’adolescence. Le bleu n’est que la couleur de l’eau de la piscine où Marie découvrira Floriane, le rouge n’est que la couleur du rideau de sa baignoire dans laquelle elle se décidera à suivre son obsession pour la belle nageuse : ainsi sont posés des bases qui évolueront tout le film. 

Pour finir, il est essentiel de rappeler l’extraordinaire travail du compositeur Para One, pour ce film. Il est vrai que sans les partitions de l’artiste électro français (lui aussi passé à la Femis, en réalisation), Naissance des Pieuvres n’aurait peut-être pas laissé une telle trace dans le cinéma français de ces dernières années. Sans jamais être trop présente, la bande originale du film n’a de cesse, tout au long, de développer plusieurs thèmes tout aussi lancinants les uns que les autres, appuyant avec justesse la mise en scène organique de Céline Sciamma. Longtemps après la vision de Naissance des Pieuvres, ce ne sont pas que les images, l’histoire, les actrices qui restent en tête au spectateur mais aussi cette musique qui pose magnifiquement la douce mélancolie qui reste après une dernière image saisissante. Marie, dans l’eau, accompagnée par cette partition, regarde en l’air, nous regarde, lancée à pleine vitesse dans sa future vie d’adulte, accompagnée par les envolées lyriques de Para One. 

© Haut et Court

© Haut et Court

Céline Sciamma, donc, achève son film comme chaque film sur l’adolescence se doit d’être achevé, par une fin ouverte sur la béance énorme de l’âge adulte. Et si son film manque parfois d’intensité (on ne saurait lui reprocher ce petit défaut à côté de ses immenses qualités), c’est avec une grande dextérité qu’elle achève une œuvre douce, attachante, émouvante, réussissant à laisser gravées dans la rétine de celui qui la regarde les sensations et les émotions qui font que les apparemment petits films, aux pseudos petites ambition, deviennent de grands films de cœur gravés dans notre mémoire.

Simon Bracquemart

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