« L’adolescence ne laisse un bon souvenir qu’aux adultes ayant mauvaise mémoire »
François Truffaut
Commençons par un rappel instructif : le terme « Nouvelle Vague », apparu sous la plume de Françoise Giroud en 1957, qualifie d’abord une nouvelle jeunesse aux aspirations bien différentes de leurs aînés, et qui se constitue en "génération".
A l’époque, on est considéré comme mineur jusqu’à vingt-et-un ans. Les ados de la fin des années 50 ne sont même pas reconnus comme un groupe social à part, ou bien ils sont très déconsidérés. C’est justement au tournant des années 60 que la jeunesse acquiert une place de plus en plus prépondérante dans le champ social de la France. Il n’en faut pas plus aux cinéastes de la Nouvelle Vague, eux-mêmes très jeunes, pour s’emparer du sujet : la jeunesse devient l’argument central de ces films originaux dont la forme aussi renouvelle le cinéma.
Jules et Jim
© Sédif Productions, Les Films du Carrosse
« Tous les garçons et les filles de mon âge… »
Au coeur des films de la Nouvelle Vague, il y a l’amour : les relations sentimentales sont placées au premier plan d’intrigues où il s’agit toujours de parvenir à dialoguer avec le sexe opposé. Couples, trios, groupes : les jeunes convolent à toutes les sauces jusqu’à la vingtaine passée (Michel et Patricia dans A bout de souffle de Jean-Luc Godard ; Jules, Jim et Catherine dans Jules et Jim de François Truffaut ; les imbrications amoureuses des Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy).
Les cinéastes font preuve de lucidité en mettant en scène la difficulté du contact entre filles et garçons, à une époque où l’accord des parents est nécessaire, et que le mariage constitue une nécessité. Les cinéastes de la Nouvelle Vague ont toutefois perçu la modernité de la jeune fille des années 60, de plus en plus manifeste : la jeune fille de la Nouvelle Vague est indépendante – ce n’est plus la Muse dont rêvent les artistes – et elle sait être cruelle, plus particulièrement chez Godard (Patricia dans A bout de Souffle, Marianne dans Pierrot le Fou…).
« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans… »
Si l’adolescence est souvent qualifiée de "crise", ce n’est pas vraiment le cas dans les films de la Nouvelle Vague. La jeunesse s’y affiche souvent comme l’âge de tous les possibles, et c’est d’une façon légère (ou faussement légère) qu’elle est abordée. Les cinéastes de la Nouvelle Vague ont à coeur de donner à voir, enfin, les goûts et habitudes de cette jeunesse qui se réunit dans les cafés autour d’un juke-box diffusant du rock américain, ou qui danse le cha-cha dans une paillote méditerranéenne (Adieu Philippine de Jacques Rozier : http://www.youtube.com/watch?v=pKI-QfxE3wM).
C’est aussi une jeunesse qui va au cinéma : d’Antoine Doinel (Les quatre-cents coups de François Truffaut) à Paul (Masculin-Féminin de Jean-Luc Godard) – tous deux joués par Jean-Pierre Léaud, le visage de la jeunesse des années 60 – les personnages passent leur temps dans les salles obscures.
Une jeunesse rebelle
Mais la gravité n’est jamais loin. Avec les films de la Nouvelle Vague, nous n’assistons pas à un cinéma de psychologie adolescente : pas de remise en cause de soi ni de questionnement existentiel. La gravité est portée par une classe d’âge plutôt que par des individus : la jeunesse solaire d’Adieu Philippine vit son dernier été avant le départ en Algérie, les sorties au cinéma du petit Doinel le font échapper un peu à l’enfer de la maltraitance (le film lança un débat sur la question après sa sortie).
De plus, chacun de ces personnages est mû par un important sentiment de rébellion : de la fugue nihiliste de Doinel au rejet du monde par Ferdinand (Pierrot le Fou) et jusqu’à l’engagement politique terroriste (La Chinoise de Jean-Luc Godard), les personnages suivent le même trajet que la Nouvelle Vague, qui s’individualise et s’engage, pour certains, vers le cinéma de protestation. Le portrait de la jeunesse des années 60 que tissent ces cinéastes se veut fidèle à une société en pleine ébullition.
La Chinoise
http://www.unifrance.org
Les personnages entrent dans la vie d’adulte de façon fracassante (guerre d’Algérie, engagement politique) ou s’y refusent en mourant. La plupart, cependant, se conforme progressivement aux standards sociaux : ils deviennent « les enfants de Marx et de Coca-Cola » (Masculin-Féminin), ou rejoignent le Domicile conjugal (F. Truffaut). L’âge des possibles est déjà achevé.
Mais une part de jeunesse demeure : à sujet neuf, esthétique neuve pourrait-on dire. Ces films ont su renouveler le cinéma pour lui donner la même actualité que son sujet. Qui plus est, ils ont donné ses lettres de noblesse à un genre, jusqu’à lui consacrer, désormais, un sujet.
Alice Letoulat