I Origins vous offre le grand luxe d’un voyage entre science et spiritualité, entre l’immensément grand et le microscopique, entre certitudes et remises en questions.
Mike Cahill offre un petit morceau de son cœur et de son esprit dans ce film. On met forcément un peu de soi dans une oeuvre, mais lui en a mis plus que les autres tant et si bien que I Origins et son réalisateur mériteraient de longues heures de discussions, d’échanges philosophiques et je dirais même un peu magiques (oui, je suis folle, mais j’assume). On ne ressort pas totalement indifférent de ce film. On aime ou on déteste, toutefois, dans le meilleur des cas, on se sent troublé, retourné, avec une montagne de questions sur la vie, l’être humain, le destin et l’ailleurs. Difficile de ne pas trop en dévoiler tant le sujet est puissant, enfin les sujets.
Regarder I Origins s’est se laisser aller à voir plus loin, à s’ouvrir à l’inconnu, ne pas avoir peur d’avoir l’œil sondé et d’ouvrir son âme. C’est d’ailleurs bien par celui-ci qu’on accède à elle…
Quelque chose à redire ? Non, tout est à garder précieusement : de la poésie, de la justesse, des séquences qu’on aimerait vivre tellement elles sont belles, des croyances qu’on a envie d’avoir tellement elles sont grandes, des acteurs qui restent dans la simplicité, l’humilité, une réalisation sans fioritures, où tout est utile et subtil, ainsi qu’une bande originale douce. Et évidemment, son réalisateur passionné et passionnant.
I Origins vous transportera, vous émouvra, vous questionnera, vous touchera, vous fera frissonner, vous retournera, vous fera croire à votre destin, vous fera voir grand et loin. En fait, il vous marquera.
Je dédie cet article au propriétaire de Mondocine.net (je pense qu’il comprendra pourquoi).
Sortie en salles le 24 septembre
Rencontre avec Mike Cahill
Mike Cahill : Vous avez vu le film ?
Mondocine : Oui. Enfin, ce n’était pas un film, c’était un cadeau que vous nous avez offert.
M.C. : Merci ! Ca représente beaucoup pour moi, d’entendre ça. Je pensais que les gens avaient détesté.
Sérieusement ?
M.C. : Non, je déconne ! (rires)
Vraiment, c’était beau, poétique, profond…
M.C. : Sincèrement, ça me fait plaisir, vraiment…
Miss Bobby : Bon, on n’est sûrement pas les premiers à vous demander cela, mais comment vous est venue l’idée de ce film ?
M.C. : Quelle idée, quelle partie du film ! (rires)
M.B. : Le tout…
M.C. : C’est venu d’un ensemble de choses et d’inspirations. Je suis très intéressé par les sciences, par l’amour, par la métaphysique, par tout ce qu’on ne peut pas toucher et qui nous entoure, la spiritualité aussi… J’ai vu des tas de films où l’amour est toujours traité de la même manière et je pense qu’il y a différentes sortes d’amour. Je voulais voir ça dans un film. Il y a ça. Et d’un autre côté, j’ai aussi appris à connaître les particularités de l’œil, le fait qu’une empreinte d’œil est unique. C’est comme une œuvre d’art au milieu du visage. Si vous zoomez de très près, l’œil ressemble à une nébuleuse dans l’espace. C’est magnifique et c’est unique. Chaque œil est unique. C’est le seul organe qui ne change pas, qui ne grandit pas. C’est pourquoi les bébés ont de si grands yeux. Et historiquement, depuis toujours, l’œil a toujours été quelque-chose de particulier. Une inspiration, une contemplation, pour la poésie, la science, l’art… Et il y a quelques années… Je vais vous raconter une petite histoire qui me vient. Ca ne vous ennuie pas, je ne vous ennuie pas au moins ?
Oh non, pas du tout !
M.C. : J’étais sur une île en Croatie. Et j’ai vu d’anciennes ruines romaines. Et puis sur les bords de la plage, il y avait ces rochers avec des empreintes de dinosaures. Et j’ai réalisé que c’était ça l’histoire du monde. Des civilisations qui s’élèvent et qui s’éteignent. Et ils n’ont jamais découvert les dinosaures. La paléontologie date des années 1800. Les dinosaures datent d’il y a plusieurs millions d’années, le début de l’évolution date de plus tard. Tout ça forme une grande narration et un paradigme qui permet de comprendre la vie. Tout ça si vous comprenez les dinosaures ! Les romains, par exemple, ont eu un pic dans leur civilisation. Puis tout s’est effondré, laissant juste des ruines. Et leurs bébés, leurs enfants, et eux-mêmes, ont vu tout ça au quotidien sans en comprendre la signification. En fait, clairement, il y a quelque-chose qui manque dans nos civilisations, quelque-chose que l’on capte au fond de nos yeux, quelque-chose que l’on regarde au jour le jour, qui grandit et qui disparaît. Et les gens dans 2000 ans se diront « j’étais naïf, c’était sous mes yeux ». Et, prenez les yeux. Les yeux sont le miroir de l’âme, ça c’est le cliché éternel. Mais pourquoi existe t-il depuis toujours ? Les yeux ont été la plus grande problématique qu’a rencontré Darwin quand il travaillait sur la théorie de l’évolution des espèces, pour décrire le travail de la sélection naturelle. Dire que l’œil a évolué dans la sélection naturelle est absurde. C’est peut-être vrai, mais c’est absurde. Il a beaucoup bataillé avec cette idée qu’il a forcément dû évoluer.
La création et l’œil sont des exemples de choses tellement complexes. Si vous avez 12 pièces d’une machine et que vous en retirez une, elle ne fonctionne plus. C’est comme l’évolution, ça ne fonctionne plus. C’est une preuve de l’existence de Dieu.
En fait, tous, scientifiques, nerds, poètes, tout le monde utilise l’œil comme un terrain de bataille. Il est au centre de débats passionnants. Et c’était pour moi un beau terrain pour parler d’amour. Dieu, c’est croire en quelque-chose sans aucune preuve matérielle. Bref, tout ça a tourné dans ma tête et ça a créé une histoire ! Taaaaatam… Super interview, merci les amis ! (rires). Ça a du sens au moins tout ça ?
Mondo : Oui, oui… Enfin…
M.C. : Enfin non !
Mondo : Non moi j’ai juste un problème avec la théorie de l’évolution et de la création du monde. C’est un peu comme si on disait qu’on a mis plein de pièces dans une boîte, on a secoué la boîte et hop, voilà l’univers, la Terre, la vie etc… Je trouve ça bizarre.
M.C. : Oui, oui, je vois, continuez, c’est intéressant…
Mondo : Je trouve la logique de la chose trop variable.
M.C. : Je peux comprendre. Prenez un ver de terre. Je vais vous raconter une expérience que j’ai faite. Vous regardez un ver. Vous regardez un être humain. Il n’y a absolument aucun moyen pour qu’un ver devienne un jour un être humain. C’est inimaginable. C’est là que la question de la logique bloque. Si vous regardez, l’univers a 14 milliards d’années. La vie sur Terre, c’est 4 milliards d’années. Et l’être humain, c’est 6 millions d’années. C’est très difficile d’appréhender le temps. Et même si vous y arrivez, ça reste bizarre. Prenez le corps. On a des bras, des yeux… Et la génétique, je veux dire par là, l’ADN, c’est un assemblage de protéines diverses, une série qui forme un code. Mais chaque détail, la couleur de vos yeux etc… vient d’un gêne. Un seul gêne. Mais au final, vous, moi, un ver de terre, on partage certaines lignes de codes similaires. On est très différent et pourtant, en génétique, on est si similaire. Si je change une ligne de code, tout change. Vous changez une ligne, et vous avez des jambes. Vous changez une autre ligne, et vous avez une couleur de cheveux. Finalement, l’évolution a beaucoup de sens si vous regardez les questions d’ADN et de mutations. Prenez le gêne dont on parle dans le film, le PAX 6, qui donne la vue. Il est dans tous les êtres vivants qui peuvent voir. En moi, dans une mouche. Pourtant, leur vue est tellement différente. Elle est multi-facettes. Pourtant, c’est le même code à la base. Ça, c’est bizarre, c’est une preuve !
Mondo : Pour en revenir à votre film, il y a quelque-chose de fascinant dedans, c’est que pour nous, journalistes, il est presque impossible à critiquer ou à analyser parce que c’est plus un film de ressentis personnels, de sensations…
M.C. : Oui. Tolstoï disait « Une oeuvre d’art est ni plus ni moins qu’un moyen de transmettre un sentiment ». C’est un moyen de transmettre une émotion chez vous, chez vous, chez tous ceux qui la regardent. Et tout le monde se connecte à elle. Et une œuvre d’art réussie, c’est une œuvre d’art qui transmet avec clarté, sincérité, un sentiment unique. C’est une œuvre qui ne cherche pas à vous imposer quelque-chose, à être professorale. C’est comme quand vous rencontrez quelqu’un, que vous regardez dans ses yeux et que vous ressentez quelque-chose que vous ne pouvez pas expliquer, mais que vous ressentez. Par exemple.
M.B. : Vous abordez la thématique de la réincarnation avec beaucoup de sensibilité, de la même manière que vous parlez du monde où tout est connecté etc… Du coup, la question est, vous vous sentez plus comme un scientifique ou plus comme quelqu’un de spirituel ?
M.C. : C’est une excellente question. C’est une excellente question, car je dirai, un peu des deux, pour être franc. En fait, je crois que chaque personnage de ce film représente une partie de mes idées ou des points de vue que je peux avoir. Parfois, je me sens extrêmement sceptique et j’ai besoin de preuves absolues. J’essaie de ne pas être crédule et naïf. Même si je le suis un peu. Et dans le même temps, je me sens parfois ému par les choses que je ne peux pas expliquer. J’ai la sensation que j’ai besoin de croire en quelque chose de plus, plus que les choses concrètes, les tables, les chaises, les pierres. Et j’ai essayé de l’expliquer dans le film.
Avec l’histoire des vers. Quand le personnage de Sophie (Astrid-Berges) dit à son petit-ami scientifique : « tu as donné à ces vers aveugles, la vision. Et avant qu’ils ne le fassent, ils ne savaient pas ce que c’était ». Leur monde était sans la lumière. Ils ne peuvent pas en comprendre le concept de la lumière, du coup. C’est un peu comme si un ver disait à un autre : « Génial, tu as vu, on a la lumière. » Et l’autre lui répondrait « Ok, mais c’est quoi ? », « C’est très dur à expliquer… » Quelque part, l’histoire de ces vers est une métaphore sur ces choses qu’on ne peut appréhender, qu’on ne peut expliquer, mais qui sont là.
M.B. : Mais on peut comprendre votre « division intérieure » car des fois, il y a des moments dans la vie où on se demande : « Pourquoi ce moment est arrivé ? Pourquoi maintenant ? ». « Quel a été le chemin pour en arriver là ? » Comme si tout était connecté…
M.C. : C’est ce qu’on fait toujours. On essaie de reconnaître des motifs dans les choses, pour créer du sens. Et c’est intéressant si vous réfléchissez à ça… Mais je crois qu’on ne va pas avoir le temps…
Et c’est fini car on avait déjà débordé sur le temps imparti…
Avec : Michael Pitt, Steven Yeun, Astrid Berges-Frisbey
Sortie le 24/09/2014