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Plus qu’une crise, notre société vit une transition qui risque d’accroitre les disparités de richesse entre les territoires. Face à ce nouveau contexte, la réforme de l’organisation territoriale ne doit pas seulement répondre à des exigences de réduction de la dépense publique, mais mener de front « solidarité territoriale et libération des énergies locales », tel que le suggèrent Laurent Davezies et Thierry Pech dans une note mêlant économie et géographie pour la fondation Terra Nova.Tout en reconnaissant la légitimité de la réforme territoriale en cours destinée à « accroitre l’efficacité de l’action publique dans les territoires » et en « réduisant les strates du mille-feuilles administratif hexagonal » en période « de disette budgétaire », les deux géographes estiment « dangereux » de ne prendre en compte que « des critères purement conjoncturels » ou les desideratas de l’Union européenne.
Il est indispensable selon eux, de préserver les équilibres entre les territoires – tel que l’équilibre entre performance économique et solidarité – d’autant plus fragilisés par la nouvelle géographie productive qui se met progressivement en place. De fait, l’industrie manufacturière laisse progressivement la place à l’industrie de l’information, immatérielle.Dès lors, cette nouvelle économie puise l’essentiel de ses ressources dans quelques grandes aires urbaines où se concentre la matière grise. Entre décembre 2008 et décembre 2012, 57 % des créations nettes d’emplois étaient captées par 5 grandes métropoles : Toulouse, Nantes, Bordeaux, Lyon et Montpellier. Il y aurait donc une accélération de la métropolisation de l’économie.
Regain des disparités de revenu - « L’organisation territoriale doit assurer les conditions du développement économique aux territoires les plus dynamiques sans les asphyxier à force de prélèvements, mais elle doit aussi veiller à ce que les territoires les moins productifs ne soient ni abandonnés à leur sort ni privés de chances de développement futur », expliquent Laurent Davezies et Thierry Pech.
Ils appuient leur analyse sur le constat d’une inversion de tendance entre l’évolution des PIB par habitant régionaux et celle du revenu par habitant. Alors que pendant les 30 glorieuses, il y avait un lien direct entre la création de richesse (PIB) et le revenu des territoires, ces derniers évoluent maintenant de manière divergente, « car la plus grosse part des revenus des ménages provient de sources non marchandes (pensions de retraites, salaires publics, prestations sociales) ».Sauf que depuis le milieu des années 2000, on constate une forte accélération des inégalités de PIB par habitant et un ralentissement de la réduction des inégalités interrégionales de revenu par habitant qui s’expliquent par la compétitivité croissante des métropoles et la moindre puissance des mécanismes de redistribution du revenu impactant les territoires les plus en difficulté. La réduction des dépenses publiques et sociales provoquerait « un regain des disparités de revenu entre nos territoires ».
Emergence des « systèmes productivo-résidentiels » – Aussi, les économistes anticipent-il « un durcissement général des inégalités territoriales dans un futur proche » sous l’effet conjugué « de l’émergence forte de l’économie des régions métropolitaines et de la remise en cause des sources de revenu non marchands ».Ces craintes seraient d’autant plus justifiées que le PIB des territoires ne viendrait plus du niveau de leur création de richesse, mais de leur capacité à capter des revenus.
Les auteurs de la note soulignent la coïncidence régionale entre dynamisme métropolitain et succès touristique, mais aussi le lien très fort entre dynamisme des villes et qualité résidentielle de leur environnement. Et de citer l’exemple du Languedoc-Roussillon où la part croissante dans le PIB régional des secteurs liés à la demande locale (apports démographiques, redistributions via les budgets publics et sociaux, apports des dépenses de tourisme) constitue le principal moteur de la croissance de la région.
Pour Laurent Davezies et Thierry Pech, les villes et les métropoles les plus dynamiques sont celles situées à proximité de territoires résidentiels (où résident les retraités et où se trouvent les résidences secondaires), à l’instar de Nantes, Rennes, Toulouse, Montpellier, Bordeaux. A l’inverse, « celles qui se portent le moins bien ont des systèmes productivo-résidentiel larges et des hinterlands de faible qualité résidentielle ».Dès lors, les disparités ne se produiront pas entre les métropoles et le reste du pays mais plutôt entre « les systèmes productivo-résidentiels » qui ne sont ni ceux des aires urbaines, ni ceux des départements ou des régions. « Ce sont pourtant eux qui sont en train de constituer la nouvelle maille de la question de l’inégalité de développement entre nos grands territoires », préviennent les géographes. Seront-ils entendus à temps par les décideurs politiques ?
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